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et adressée au Père Duchêne. Parmi beaucoup de phrases bourrées de gros mots, on dit : « Nos batteries font merveille et tous nos artilleurs sont héroïques. » Puis on reproche à « ce vieux b… de patriote de père Duchêne » de ne pas s’occuper assez des soldats de la commune, on demande un petit article pour « donner du cœur au ventre » des hommes ; on ajoute que « les Versaillais crèvent de peur dans leur peau de chien, » et en termine en disant : « Tâche d’engueuler un peu les supérieurs qui laissent des héros sans une longue-vue. » La signature n’est pas assez lisible pour que je puisse la reproduire ; mais ce brouillon faisant partie des papiers ayant appartenu à Durassier, je crois que l’on peut sans scrupule le lui attribuer. Il ne resta pas longtemps à Asnières ; le 5 mai il est nommé commandant du fort de Vanves, car Eudes et Mégy, qui étaient chargés de la défense des forts du sud, décampaient volontiers à la première alerte. Durassier était brave, et l’on savait que l’on pouvait compter sur lui. Avant de quitter les troupes qu’il avait souvent conduites au feu, il crut devoir prendre congé d’elles. Singeant les vrais généraux, et ne se doutant même pas qu’il devenait grotesque, il adressa un « ordre du jour » à l’armée devant Asnières : « Je suis heureux de vous rendre ce témoignage, vous avez tous fait votre devoir. Chefs de bataillon, officiers, sous-officiers, gardes nationaux, artillerie et génie, au nom de la commune et en mon nom personnel, recevez tous mes remercîmens et comptez sur tout mon dévoûment à la cause sacrée que nous défendons. »

Durassier se rendait au fort de Vanves, vers lequel les troupes françaises cheminaient, avec : ardeur. Pendant la nuit du 9 mai, le 35e de ligne, appartenant à la division Faron, enleva le village pendant que les gardes de tranchée, par un mouvement hardi, s’emparaient du point d’intersection du chemin de Vanves au fort et de la route stratégique. Durassier ne se réserva point et fit tous ses efforts pour repousser l’attaque dirigée contre ses avancées. Il échoua ; ses hommes reculaient devant la fusillade qui les décimait. Ils obéissaient à l’attrait invincible que l’abri des murailles exerce sur les soldats ébranlés ; Durassier voulut les ramener au combat et fut frappé d’une balle en pleine poitrine : on l’emporta au fort ; le lendemain, on put l’évacuer sur la grande ambulance installée aux Champs-Elysées dans le Palais de l’Industrie. Les soins éclairés ne lui faillirent pas, car le médecin en chef, le docteur Chenu, vieux praticien de nos armées, ne voyait que des blessés dans les malheureux qu’il recueillait et ne ménageait point son dévoûment. Durassier ne devait point guérir ; la plaie était profonde et avait attaqué les organes vitaux ; il mourut le 29 mai, après avoir vu la défaite de la cause exécrable qu’il avait servie, évitant ainsi de passer devant les conseils de guerre qui le réclamaient et ne lui auraient pas