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transporté, lui répondit que les biens sur lesquels il allait mettre la main appartenaient non pas au khédive, mais à l’un de ses fils.

Il n’est que trop vrai, en effet : tandis que le passif de la daïra s’accroissait chaque jour, son actif diminuait avec la même rapidité. Le domaine désigné sous le nom de daïra Samieb, qui appartenait primitivement au khédive, a subi une foule de démembremens au profit de ses parens et de ses favoris. On compte, sous les titres de daïra Valideh, daïra Tewfik-Pacha, daïra Hussein-Pacha, etc., autant d’apanages provisoires dont les revenus profitent à des princes. Splendide libéralité sans doute, mais que les intéressés admireraient davantage si elle n’avait pour résultat de diminuer injustement leur gage, ou plutôt de le mettre à l’abri de leurs poursuites, sous le masque de prête-noms, et au moyen de viremens qui ne trompent que les aveugles systématiques.

Entre les créanciers armés de leurs droits et le khédive retranché derrière ses exceptions de propriété, quelle pouvait être la conduite des tribunaux ? Sans doute les réclamations des porteurs de bons étaient toujours admissibles, et l’on ne pouvait leur refuser justice sous le prétexte des embarras de leur débiteur, d’autre part ce n’est pas l’aider à sortir de peine que de le laisser harceler par chacun de ses créanciers séparément. On imagina un remède à cette situation ; il s’offrait de lui-même dans la loi commerciale de tous les pays, qui déclare inviolable et met à l’abri des poursuites individuelles le débiteur en faillite. Que le khédive fût traité comme un failli, et dès lors il cessait d’être en butte aux tracasseries ; une commission européenne jouant le rôle d’un syndic (elle existait déjà) s’emparait de l’administration de ses biens et payait les prêteurs, fournisseurs et employés, au prorata de leurs créances. Malheureusement on n’avait pas oublié dans les codes égyptiens la distinction qui existe dans les nôtres entre le débiteur commerçant, qui peut être mis en faillite, et le débiteur civil, qui reste toujours soumis aux poursuites séparées. Le khédive n’étant pas un commerçant, il fallait une modification à la loi pour lui en accorder les avantages. La cour d’Alexandrie estima qu’il ne lui appartenait pas de changer la loi. Il fallait pour cela l’intervention des puissances. Un appel leur fut adressé en novembre 1876. Mais la réponse fut négative, la modification fut refusée, et l’on restait dans la même impasse ; ou plutôt l’Europe faisait assez entendre au khédive qu’elle le croyait en mesure de s’acquitter et l’engageait à le faire.

Dès lors l’opposition du vice-roi au corps judiciaire européen, de sourde qu’elle était, devint éclatante et prit un caractère manifeste d’hostilité. Furieux de son échec, il déclara que les magistrats devaient suivre les vicissitudes des fonctionnaires égyptiens,