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des droits du génie et de sa mission providentielle. « Le prince de Bismarck, lisions-nous l’an dernier dans une revue de Berlin, est le ministre par la grâce de Dieu ; il a fondé un empire et il s’est confondu avec cet empire ; il figure en quelque sorte nominativement dans la constitution de l’empire germanique. Il ne vient à l’esprit de personne qu’une disgrâce d’en haut puisse le renverser ou qu’il puisse succomber à un vote de défiance parlementaire. Nous nous sommes accoutumés à nous laisser gouverner de Varzin, et ce village ou cette terre poméranienne dispute momentanément à Berlin l’honneur d’être la capitale de l’Allemagne. L’Allemagne veut être gouvernée par Bismarck. Une popularité comme la sienne n’a jamais été conquise par personne, de même que jamais dans un état non absolutiste on n’a vu une situation ministérielle dotée de toutes les fonctions et de tous les pouvoirs qu’il réunit dans sa main[1]. » L’Allemagne avait décrété que, durant toute la vie de M. de Bismarck, elle se contenterait de la constitution qu’il lui a donnée. Il a fallu, pour qu’elle s’en dégoûtât, qu’il vînt lui-même lui dire : — Je n’en peux plus, mon fardeau est trop lourd, je plie sous le faix ; si vous ne vous décidez pas à me soulager en acceptant telle combinaison que je pourrai vous proposer, je me retire. En attendant, je prends un congé. — Il faut avouer qu’une pareille situation est pour le moins bizarre, et il est naturel que l’Allemagne s’en préoccupe, qu’elle tâche d’y aviser et que son imagination soit en travail.

Depuis le printemps de 1877, des négociations ont été conduites entre M. de Bismarck et le parti libéral pour découvrir un moyen de résoudre les difficultés et les questions pendantes. Le point était de trouver un négociateur qui agréât au chancelier de l’empire. Il n’est pas disposé à écouter le premier venu ; il a en aversion, il traite avec un égal mépris les têtes chaudes et turbulentes, les doctrinaires pointilleux, les bousilleurs parlementaires et ceux qu’il appelle les dilettanti de la politique. Pour nous servir de l’expression vive qu’il a employée dans son dernier discours, il eût dit peut-être à tel ambassadeur qu’on lui aurait dépêché ce qu’il disait jadis à tel ministre autrichien : « Votre parole m’importe autant que le bruit du vent dans ma cheminée. » Heureusement les libéraux prussiens ont un homme pour qui M. de Bismarck a du goût et avec lequel il converse volontiers, soit dans le secret de son cabinet, soit dans le parlement. M. de Bennigsen fut jusqu’en 1866 le chef de la démocratie hanovrienne dans ses luttes contre le ministère Borries. Il a été l’un des signataires de la déclaration d’Eisenach et le président du Nationalverein jusqu’à sa dissolution en 1867. Aujourd’hui, il est président de la chambre des députés prussiens, et il s’acquitte de cette fonction avec une supériorité à

  1. Die Friktionen des Reichskanzlers, dans le n° du 12 mai 1876 de la Gegenwart.