Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 26.djvu/227

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

laquelle tout le monde rend justice. M. de Bennigsen passe pour être l’homme d’état du parti national-libéral ; ses amis attendent beaucoup de ses talens, de son esprit de conduite ; ses courtisans, car il en a déjà, l’ont surnommé le Bismarck libéral de l’avenir. Il possède en tout cas deux qualités essentielles à un politique. D’abord il est discret, réservé ; il s’est toujours ménagé dans les assemblées, il n’entre en scène qu’à propos et dans les grandes occasions, laissant à d’autres le plaisir de ferrailler dans les escarmouches ; toutes les fois qu’il prend la parole, on sait qu’il s’agit d’une question importante ou qu’un événement se prépare. M. de Bennigsen possède encore une autre qualité non moins précieuse : il n’est pas pressé, il sait attendre, il est du nombre des ambitieux patiens, lesquels sont assurés d’arriver un jour. Il nous souvient qu’ayant eu autrefois l’occasion et le plaisir de causer avec lui, nous prîmes la liberté de l’interroger sur les contradictions qu’on imputait à ses amis politiques et de lui demander pourquoi son parti n’avait pas un programme plus nettement défini. Il nous répondit en souriant : — Nous aurons un programme le jour où il nous sera utile d’en avoir un.

M. de Bennigsen s’est rendu à Varzin dans le courant de l’été dernier, il y est retourné en octobre, il y est retourné encore en décembre, et en revenant à Berlin, il a conféré avec M. de Forckenbeck et le baron de Stauffenberg, président et vice-président du Reichstag. Ces allées et venues de M. de Bennigsen ont tenu l’Allemagne en éveil et en haleine ; elle s’en est beaucoup occupée ; mille bruits divers circulaient dans la presse. On a prétendu un moment que les négociations avaient abouti, et on annonçait déjà que M. de Bennigsen et ses amis ne tarderaient pas à entrer au ministère. L’opinion publique allait trop vite ; il s’est trouvé qu’en définitive on n’avait pu se mettre d’accord, que M. de Bismarck demandait trop et accordait trop peu.

Si impénétrables que soient les mystères de Varzin, on sait à peu près ce que demandait M. de Bismarck. Il exigeait d’abord des nationaux-libéraux qu’ils consentissent à appuyer en toute rencontre sa politique et à former un parti de gouvernement, en se séparant à jamais des progressistes et en s’alliant aux conservateurs-libres. C’est à peu près la même chose que lorsqu’on demande en France au centre gauche de rompre avec la gauche pour donner la main au centre droit. En Prusse comme en France, le centre droit est moins un parti qu’une coterie, composée d’hommes honorables, intelligens, quelques-uns fort distingués, capables de remplir les plus hautes charges avec honneur et succès, mais ayant plutôt des opinions flottantes que des principes, et encore plus d’ambitions que d’opinions, partant n’ayant que peu de racines dans le pays. Rompre avec un parti puissant pour lier ses destinées à celles d’une coterie qui n’a derrière elle qu’une poignée d’électeurs, c’est une entreprise chanceuse, et il paraît qu’en tout pays la