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d’un mot qui les peint bien ; ils disaient, lorsqu’ils quittaient le poste : « Je vais au fourrage. » Aller au fourrage, c’était gravir les escaliers du ministère, ouvrir la porte des bureaux, faire sauter le tiroir des tables, briser les serrures des armoires et voler les menus objets que les employés avaient oubliés ou abandonnés en se retirant sur Versailles. L’adjudant Langlet avait beau avoir l’œil sur eux, ils déjouaient toute surveillance et levaient les épaules en ricanant lorsque l’on essayait de leur faire honte de leur conduite. Parfois le chef du matériel, M. Gablin, le concierge, M. Le Sage, étaient avertis par quelque planton effaré ; ils accouraient alors, prenaient ces détrousseurs de chambre au collet et d’un coup de pied les envoyaient rouler dans l’escalier. Il n’en était que cela, et ça recommençait le lendemain. Latappy se fâchait, donnait les instructions les plus sévères à son chef de comptabilité Matillon, à Boiron, son secrétaire-général, qui trouvaient le délégué un peu sévère, mais qui estimaient cependant que les réquisitions devaient parer à toutes les exigences du moment. Comme leur haute situation administrative les tenait à l’écart des simples fédérés, ils transmettaient les ordres du citoyen ministre au citoyen Gournais, gouverneur du ministère. Gournais ne se les faisait pas répéter, et, pour mieux apprécier l’importance des dégâts, il s’empressait de faire des perquisitions pour son propre compte. Les montres, les porte-monnaie, les bijoux, les armes précieuses dont le ministère possédait une importante collection, tout objet de valeur, en un mot, disparut de la sorte et ne fut point retrouvé.

La commune faisait en bloc ce que ses soldats se plaisaient à faire en détail ; elle avait besoin d’argent, en manquait, et cherchait à s’emparer des services de vaisselle plate appartenant aux ministères et aux grandes administrations. À cet effet, elle avait, le 12 avril, institué un directeur-général des domaines appelé Fontaine, qu’il ne faut pas confondre avec Joseph Fontaine, qui le 7 mai fut nommé séquestre des biens du clergé. Ce Fontaine trouva facilement à la délégation des finances les états indicatifs de l’argenterie réservée aux usages de chaque ministère. Le 17 avril, accompagné d’un commissaire de police nommé Charles Mirault[1], il vint en personne

  1. Ce Charles Mirault fut chargé de procéder à la destruction de la chapelle expiatoire, ainsi qu’il ressort des pièces suivantes : « L’an mil huit cent soixante et onze et le vingt mai, nous, Ch. Mirault, commissaire de police attaché aux domaines, requérons dix hommes pour surveiller la démolition de la chapelle expiatoire. À la caserne de la Pépinière, les jour, mois et an que dessus, le commissaire de police, CHARLES MIRAULT. » — « D’après un ordre de la légion, il a été expressément défendu de disposer des citoyens faisant partie des compagnies de marche. Je viens donc prier le chef de la légion de me donner des ordres ou de faire prévenir le commandant des compagnies sédentaires pour obtempérer à l’ordre ci-dessus. Pour le commandant du 69e bataillon absent, le lieutenant : PARADIS. » Timbre bleu ; garde nationale sédentaire de la Seine, 69° bataillon. L’arrêté du comité de salut public prescrivant la démolition de la chapelle est signé : Ant. Arnaud, Ch. Gérardin, Léo Meillet, Félix Pyat, Ranvier, et daté de 16 floréal an 79 (6 mai 1871).