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à l’hôtel de la marine réclamer, au nom du gouvernement qu’il représentait, les soixante-dix-huit articles dont se composait le service de table du ministère. M. Gablin, auquel il s’adressa, bien résolu à ne point dévoiler dans quel trou il avait versé l’argenterie, répondit sans se troubler : « La vaisselle plate ? il y a longtemps qu’elle n’est plus ici ; ils l’ont emportée. » Il expliqua alors que, dans la nuit du 18 mars, lorsque l’évacuation du ministère avait été décidée, une bonne partie de l’argenterie, la plupart des objets précieux et les armes de guerre avaient été chargés sur un fourgon qui avait pris route sur Versailles. Fontaine lui dit alors : « Vous devez avoir une décharge, montrez-la-moi. — Ma foi, répliqua M. Gablin, on était si pressé que je n’ai point pensé à la demander et qu’on n’a pas pensé davantage à me l’offrir. Du reste, il y aurait eu un compte-matières à faire, car on a dû laisser quelques pièces ici, et l’on n’avait pas le temps de vérifier. » Fontaine se mit en quête et découvrit en effet des plats et des couverts dont la valeur représentait une dizaine de mille francs. En homme avisé, M. Gablin avait fait la part du feu, c’est-à-dire de la commune ; bien lui en avait pris. Le directeur des domaines donna un reçu et constata dans son procès-verbal que les « articles » manquant avaient été transbordés à Versailles par « les royalistes. » Le commissaire de police Mirault signa sans faire d’objection, et nul ne songea à sonder les sous-sols. L’argenterie ainsi enlevée fut livrée à la Monnaie, où Camélinat la fit jeter en fonte ; on y retrouva, au mois de juin, soixante couteaux en vermeil qui valaient 932 francs.

L’alerte n’avait pas été bien chaude, et le ministère de la marine semblait devoir jouir de quelque repos, d’autant plus que le 224e bataillon avait été relevé le 19 avril et remplacé par le 30e bataillon sédentaire venant de Belleville, composé de petits boutiquiers, gens d’ordre et de tenue convenable, auxquels on n’eut aucun reproche grave à adresser. Les tiroirs furent respectés, et l’on ne fut plus obligé d’enjamber des ivrognes endormis lorsque l’on gravissait les escaliers. Ce fut un bon temps relatif ; mais que de gêne encore, que de précautions prises contre toute liberté, pendant cette période de misère et d’abjection ouverte au nom de la liberté ! La porte du ministère qui bat dans la rue Saint-Florentin était mise sous scellés, comme une caisse de banqueroutier. Le concierge de la rue Royale, M. Le Sage, devait tenir sa porte toujours fermée ; on pénétrait dans le ministère par le poste des fédérés, où l’on était examiné avec