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pour absolument exact, au point de vue historique surtout, cet exposé de l’état de son âme, il est certain que dans l’histoire morale de George Sand Lélia ne marque qu’une phase et une étape. Il faut l’accompagner dans sa route et demander aux Lettres à Marcie, qui parurent en 1837, c’est-à-dire quatre ans plus tard, le développement de ses idées philosophiques. Dès la première page, on est frappé du changement de ton. « La religion, disait une femme qui avait beaucoup souffert, n’a point à toutes les questions une réponse aussi précise que celle de l’immortalité en face de la mort ; mais il n’est point de douleur qu’elle laisse sans soulagement. C’est la différence d’une plaie qui est pansée à une plaie qui ne l’est pas. » Si Marcie n’obtient pas de l’ami inconnu dont on nous fait lire les lettres une réponse à toutes les questions que posait Lélia, du moins il sait l’art de panser les plaies de celle qui implore ses conseils. Il calme par de sages avis ses ambitions imprudentes en la détournant de la voie où les disciples de Saint-Simon ont engagé naguère les femmes à s’élancer. Comme elle, il connaît les anxiétés du doute ; mais, pour calmer ces anxiétés, il connaît aussi un remède dont il lui conseille l’usage en ces termes : « Certains élans de l’âme, rapides comme l’éclair et vagues comme l’aube, suffisent à calmer ces lentes douleurs qui nous rongent, à faire crouler cette montagne de plaintes et d’ennuis si péniblement entassés durant nos lâches révoltes. Nous ne voyons pas d’où découle le baume ; nous ne pouvons conserver la manne divine au-delà du temps nécessaire pour ranimer nos forces et nous empêcher de mourir ; mais elle tombe chaque jour dans le désert, et quand nous doutons de la main qui la verse, c’est que nous avons négligé de l’invoquer, c’est que nous avons oublié de purifier le vase que le Seigneur a commandé de tenir toujours prêt à recevoir ses dons. Marcie, ne promettez pas, demandez ; ne refusez pas, acceptez ; ne doutez pas, priez. »

L’apaisement de la réflexion ne suffit pas pour expliquer comment, quatre années après Lélia, on peut rencontrer sous la plume de George Sand ces paroles de foi et d’espérance. On est forcé de croire à quelque influence bienfaisante dont l’action s’est fait sentir en ramenant le calme dans son âme. Les Lettres à Marcie ont été publiées dans le journal le Monde, que Lamennais fit paraître trois ans après la publication des Paroles d’un croyant, et où il commençait sa campagne de christianisme anticatholique et humanitaire. Il serait singulier (et cependant cela paraît probable) que cette influence calmante fût précisément celle du prêtre en révolte, et que les conseils donnés à l’inquiète Marcie par son directeur inconnu fussent l’écho de ceux que George Sand elle-même avait reçus de Lamennais. « Il daigna, dit-elle, en quelques entretiens très courts, mais très pleins, m’ouvrir une méthode de philosophie