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la Turquie ont montré de la bravoure et de la discipline ; les états-majors ont-ils fait preuve d’instruction et de coup d’œil ? Le moment n’est pas venu de discuter ces questions. Les élémens de cet examen n’existent pas. Le temps seul les fera connaître. Citons en attendant la hardiesse et l’exploit du navire russe la Vesta.

C’est un paquebot en fer filant à peu près douze nœuds. Le gouvernement russe y avait placé cinq canons de 15 centimètres et deux pièces plus fortes à l’arrière. Cet armement était complété par quatre mitrailleuses. Du reste, cette artillerie n’était protégée « que par les moyens rudimentaires dont on peut disposer sur un navire de cette espèce, tels que hamac, chaînes etc. »

Un officier supérieur, le commandant Baranof, dirigeait ce navire. Un matin, ayant aperçu une fumée noire au sud, il courut à la rencontre du bâtiment signalé. C’était un cuirassé turc. D’autres auraient viré de bord, s’estimant heureux de s’échapper s’il en était encore temps. Le brave petit navire hissa le pavillon russe et l’appuya par une décharge de ses canons de l’avant. Après cet acte de crânerie, il tourna les talons comptant sur la vitesse pour distancer son ennemi ; mais le cuirassé n’était pas moins rapide : il avait pris chasse, et bientôt les deux bâtimens se trouvèrent à portée de fusil. Le Bulletin de la réunion des officiers, où ce fait se trouve relaté, dit qu’en ce moment critique « le commandant Baranof, de son banc de quart, dirigea un feu énergique de tirailleurs, et, excellent tireur lui-même, se servit à plusieurs reprises de fusils qu’il prenait des mains de ses soldats. » Les deux bâtimens manœuvraient, le turc pour éviter les canons de l’arrière de la Vesta qui le prenait d’enfilade, et son adversaire moscovite pour échapper aux terribles effets des bordées de flanc de l’ennemi, car elles l’eussent bientôt anéanti. Dans cette lutte si inégale, le paquebot russe se trouvait déjà fort maltraité. Il avait reçu deux obus dans la coque ; deux de ses canons avaient été mis hors de service ; un incendie avait éclaté dans le voisinage de la soute aux poudres. Le gouvernail était faussé. Le combat, quoique énergiquement soutenu, aurait été fatal au plus faible. L’artillerie du cuirassé était écrasante : deux canons de 27 à 29 centimètres, l’un à l’avant, l’autre à l’arrière ; au milieu du bâtiment un blockaus cuirassé contenant quatre pièces de 18 centimètres sans compter d’autres bouches à feu de moindre calibre. La Vesta allait peut-être succomber lorsqu’un coup heureux la débarrassa de l’étreinte d’un adversaire trop formidable. Un obus tomba sur le pont du navire ottoman près du canon placé à l’avant. Cet incident changea la face du combat. Une épaisse colonne de vapeur ou de fumée s’éleva du bord. Était-elle causée par un commencement d’incendie, par des avaries dans les chaudières ? Le commandant Baranof ne l’a pas su, mais ce qui est certain, c’est