Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 26.djvu/353

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mobiles, indéfinies ; des heures où je cours, ou je vole, où je nage, où je bois la rosée, où je m’épanouis au soleil, où je dors sous les feuilles, où je vis avec les alouettes, où je rampe avec les lézards, où je brille avec les étoiles et les vers luisans, où je vis enfin dans tout un milieu qui est comme une dilatation de mon être. » Elle se demandait alors avec un enthousiasme mêlé de mélancolie s’il était plus difficile pour l’homme de mourir que pour les blocs de pierre de se désagréger sous l’influence alternative du soleil et de la lune, et elle trouvait quelque consolation dans la pensée que la science promet aux élémens matériels dont se compose le corps de l’homme une immortalité qui sera peut-être refusée à son âme.

Cet art de peindre la nature, porté aussi haut que l’ont élevé George Sand, Chateaubriand, Rousseau, n’est-il à tout prendre qu’un art descriptif et d’imitation dont l’exactitude fait tout le prix, une sorte de photographie parlante ? N’entre-t-il pas dans cet art une part d’imagination et presque d’invention ? « C’est le Poussin, disait M. Ingres, qui a créé la campagne de Rome, » et l’on a eu tort de railler ce propos échappé à l’enthousiasme du vieux maître. Lorsque l’homme révèle à l’homme quelque beauté de la nature qui a échappé jusqu’alors à son admiration, n’y a-t-il pas là en effet une sorte de création nouvelle qui tire les objets du néant ? Sans doute la ligne des montagnes de la Sabine ne se dessinait pas moins sombre et moins nette sur l’azur du ciel italien avant que le Poussin n’eût couronné de leurs cimes violettes l’horizon mélancolique de ses paysages, et l’eau ne dormait pas moins limpide et moins bleue au pied de la rive de Meillerie avant que du haut de la roche escarpée le désespoir de Saint-Preux n’en mesurât la profondeur. Mais peut-être, à l’heure où j’écris, quelque vallée inaccessible des chaînes de l’Himalaya ou quelque lac perdu dans un repli des Andes offrent aux yeux qui pourraient les contempler un spectacle non moins digne d’admiration. Que nous importe ! Les lieux que l’homme n’a jamais décrits existent-ils pour l’homme, et ne semble-t-il pas que ces muettes beautés de la nature ne parlent véritablement à notre âme que du jour où une voix humaine a pris soin de nous traduire leur langage ? Combien de contrées dont les noms se retrouvent à chaque, instant dans l’histoire ont été parcourues et foulées aux pieds par des générations entières sans que leur beauté ait été comprise ou même aperçue, jusqu’au jour où un peintre s’est trouvé pour la sentir et la décrire ! On dirait qu’à partir de la seconde moitié du siècle dernier, une série de voyages, sinon de découvertes, du moins d’explorations, a été organisée à travers ces contrées si connues et si inconnues, de même qu’à la fin du XIVe siècle s’organisaient en foule ces expéditions où de hardis matelots partaient à la recherche de la