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absolue pour l’état de construire ou d’exploiter des chemins de fer. Des événemens de la plus haute gravité viennent de se passer en Amérique. Le service des trains a été désorganisé pendant des semaines sur des lignes qui assurent l’approvisionnement de New-York et de villes ayant une population de plusieurs centaines de mille âmes. Les controverses les plus vives ont été et sont encore engagées sur les moyens de prévenir le retour des grèves qui ont ensanglanté le sol de la confédération. Et cependant personne n’a songé à demander l’absorption des chemins de fer par l’état ; on a dit au contraire que, si les chemins de fer américains avaient adopté l’organisation des compagnies de chemins de fer français, on n’aurait pas eu à déplorer de semblables malheurs.

Ce n’est donc ni en Angleterre, ni surtout chez la grande république américaine qu’il faut chercher des argumens en faveur de l’exploitation par l’état. Ce que l’on constate dans ces deux pays, c’est le désir de voir diminuer le morcellement et l’éparpillement des exploitations et d’arriver à une fixité plus grande des tarifs. La constitution de groupes absolument semblables aux groupes français, la surveillance exercée par l’administration française, répondent parfaitement à ce double programme qui n’est critiqué que dans notre propre pays.

Le régime anglais et américain écarté, restons sur le continent et voyons ce qui se passe autour de nous. Nous examinerons dans quelles conditions a été constitué le réseau dès chemins de fer dans diverses contrées de l’Europe, notamment en Belgique, en Allemagne, en Autriche. Mais nous pouvons affirmer un premier fait d’une importance capitale, c’est que nulle part il n’existe un réseau d’état comprenant 24 ou 25,000 kilomètres régis par une seule et même administration et nue nulle part on ne songe à le constituer. Il n’est pas du reste indispensable d’aller à l’étranger pour étudier le système de l’exploitation des chemins de fer par l’état. La France a connu ce régime. Pendant trois ans l’état a exploité des lignes importantes : Paris à Chartres, Paris à Tonnerre, Dijon à Châlon, puis Tonnerre à Dijon, ce qui constituait une longue section de Paris à Chalon-sur-Saône avec un grand service de correspondance sur Lyon. Pendant cette période, on a expérimenté le régime de l’intervention ministérielle dans les détails de chaque jour de l’exploitation, et, lorsque ce régime a disparu, en 1852, personne n’a songé à le regretter. Peut-être ne lira-t-on pas sans intérêt les discours dans lesquels les orateurs les plus influens de l’assemblée nationale exprimaient les craintes que leur faisait concevoir l’exploitation par l’état ; nous verrons combien ces craintes ont été justifiées.