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50 centimes, et il faudra probablement donner quittance sur une feuille timbrée à 0 fr. 50 cent. Les fraudes tentées contre les chemins de fer, fausses déclarations, poids inexacts, seront punies comme des délits, et on trouvera, dans l’arsenal des lois sur les privilèges postaux, des armes dont on pourra faire un merveilleux usage dans le contentieux des chemins de fer.

Il y a quelques mois, un horrible accident a eu lieu sur le chemin de fer du Nord ; un train a broyé une voiture engagée sur un passage à niveau dont le garde s’était éloigné ; six personnes ont été tuées, trois blessées grièvement. Le tribunal de Lille a alloué 814,000 francs d’indemnité aux victimes ou aux familles des victimes qui demandaient 2,180,000 francs[1]. Jamais l’état ne consentira à subir des responsabilités pécuniaires si fortes. S’il y est pris une fois, un règlement, au besoin une loi, tarifieront la valeur d’une dent, d’un bras, d’une jambe, de la tête d’un voyageur, et rien ne sera plus abandonné à l’arbitraire des tribunaux. Accorder 2 millions d’indemnité comme une compensation d’une faute commise par un garde-barrière, voilà ce que jamais ministre des travaux publics n’osera proposer à une commission du budget. Quant à la ressource des cautionnemens et des responsabilités pécuniaires, les plus ardens promoteurs de l’exploitation des chemins de fer par l’état n’arriveront pas à formuler à ce sujet une proposition acceptable.

Dans les lignes qui précèdent, nous n’avons parlé que de la responsabilité personnelle, corporelle, si nous pouvons nous exprimer ainsi. L’état n’y exposera pas ses fonctionnaires. Sur une route, en pays de montagne, une voiture publique tombe dans un précipice, dix ou douze personnes sont tuées ou blessées, et l’enquête démontre que l’accident est dû à l’insuffisance d’un parapet en bois complètement pourri et hors d’usage ; personne ne songera à mettre en cause le cantonnier ou le conducteur de la route, encore bien moins l’ingénieur ordinaire et l’ingénieur en chef.

Il n’y a pas d’accident de chemin de fer dans lequel la responsabilité à tous les degrés ne soit établie. Nous ne nous en plaignons pas, nous constatons le fait ; mais nous avons la conviction que le jour où tous les agens d’un chemin de fer seront transformés en fonctionnaires publics, ils jouiront des immunités attribuées à ces derniers. Il faut se résigner et choisir entre la responsabilité entière et prévue par nos codes et la réglementation. Avec les compagnies la responsabilité demeure, avec l’état elle disparaît ou elle est remplacée par des pénalités insignifiantes.

  1. Le jugement du tribunal de Lille a été déféré en appel à la cour de Douai et confirmé avec une faible réduction de 60,000 francs environ.