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siècles. Nous avons vu quelle est l’idée morale et sociale de la France.

Il y a parmi les instincts des animaux certaines aberrations qui tiennent à ce que des actes autrefois utiles à l’espèce et devenus aujourd’hui inutiles se sont perpétués par une sorte de tradition héréditaire : on en trouverait plus d’un exemple chez les abeilles ou les fourmis. Il y a de même, parmi les idées directrices des individus et des peuplés, des formes surannées d’existence et de conduite, des types d’action dont l’utilité a péri et qui survivent à leur propre utilité : telles sont certaines conceptions religieuses bonnes autrefois, maintenant inutiles ou même nuisibles ; telles sont certaines conceptions morales qui ne sont plus que des préjugés, certaines idées sociales ou politiques qui ne sont plus que des antiquités, comme celle de la noblesse, des castes, de la royauté absolue, du droit divin des rois. Ce sont, pour ainsi dire, des idées parvenues à l’état crépusculaire. Au contraire il y a d’autres idées qui sont comme une aurore. Seulement on dispute pour savoir quelles sont celles qui vont redevenir nuit et celles qui vont devenir lumière ; le jour termine ce débat en se montrant. L’histoire donnera tort aux uns et raison aux autres. En ce moment, il s’agit de savoir si l’avenir appartiendra à la liberté égale pour tous, à la fraternité humaine, ou si c’est le jeu des forces et des intérêts qui se substituera au droit. Entre les idées adverses qui luttent pour la vie au sein de l’humanité, c’est à chaque individu et à chaque peuple de prendre parti.

Mais la science peut devancer l’histoire, et, avant même que le soleil ait paru, elle peut nous dire si les lueurs de l’horizon sont celles du soir ou celles du matin. La valeur d’une idée se prouve par son développement théorique et pratique, comme le mouvement se prouve en se calculant par la mécanique pure et en se réalisant par la mécanique appliquée. De même pour l’idée du droit : nous en apprécierons mieux la valeur quand nous l’aurons suivie en son développement spéculatif et dans ses applications sociales. Nous espérons montrer, dans la suite de ces études, qu’on peut construire la société entière conformément à cette idée directrice du droit, et qu’on en peut déduire tour à tour l’égalité progressive des hommes, la fraternité progressive, la formule de la justice, la loi des contrats, la règle des législations modernes. De plus l’histoire nous montre toutes les conséquences de cette idée tendant à se réaliser sous nos yeux et se réalisant même chaque jour de plus en plus. Ne sommes-nous pas dès lors fondés à conclure que la société finira par s’organiser réellement selon l’idée du droit et qu’il y a dans cette idée l’anticipation de l’humanité à venir ? Que l’astronome, dans la voûte constellée, découvre une nébuleuse en voie de condensation et qu’il puisse à l’aide du télescope étudier la forme, la direction, la