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fortuites ou cherchées, qu’il avait avec elles : ces ressemblances rendaient plus aisée la transition d’un culte à l’autre, ce qui ne fut pas inutile sans doute à la propagation rapide du christianisme. C’est, comme on voit, une façon un peu nouvelle de présenter une vieille histoire.

Voici encore une nouveauté qui change les idées que nous nous faisions des temps primitifs du christianisme. On disait qu’il ne s’était d’abord répandu que dans les classes misérables. C’étaient de pauvres Juifs et de « petits Grecs, » des affranchis et des esclaves, des tisserands, des cordonniers, des foulons » qui en furent les premiers adeptes. Du haut de son opulente philosophie, Celse se moquait beaucoup de ce ramassis « d’âmes simples et ignorantes, d’esprits bornés et incultes devant lesquels les docteurs chrétiens plantaient leurs tréteaux. » On ne peut pas nier en effet que les pauvres gens n’aient été longtemps les plus nombreux parmi les fidèles ; mais n’y avait-il qu’eux, même dans les premières années ? M. de Rossi ne le pense pas. Il a été très frappé de voir que les plus anciennes catacombes sont aussi les plus riches et les mieux ornées. Il se demande s’il était possible à une corporation qui n’aurait contenu que « des tisserands et des cordonniers » de bâtir le vestibule du cimetière de Domitille, avec les peintures élégantes qui en décorent la voûte ; et il lui vient aussitôt à l’esprit qu’il devait se trouver, parmi ces esclaves, ces affranchis et ces ouvriers, des personnages plus importans et plus riches qui faisaient les frais de ces constructions. C’est du reste ce qui arrivait aussi même dans les collèges les plus misérables ; ils avaient grand soin de se choisir des protecteurs qui les aidaient de leur influence et de leur fortune. N’est-il pas probable qu’il existait quelque chose de semblable dans l’association des frères ? On a remarqué que les cimetières sont ordinairement désignés par un nom propre qui n’est pas toujours celui d’un martyr ou d’un saint ; on les appelle cimetière de Lucine, de Commodilla, de Thrason, de Calépode, etc. : ce nom n’est-il pas celui d’un riche chrétien qui a donné le sol à ses frères pour leur sépulture ? Les fouilles ont paru confirmer ces suppositions. Sur ces tombes qu’il a découvertes, M. de Rossi a lu quelquefois les noms les plus glorieux de la vieille Rome, les Cornelii, les Æmilii, les Cœcilii, etc. Il en a conclu que de très bonne heure quelques membres de ces grandes familles avaient connu et pratiqué la doctrine nouvelle[1]. Prêchée par saint Paul dans « la maison de César, » c’est-à-dire parmi les esclaves et les affranchis

  1. Il se peut à la vérité que ce ne soient souvent que des noms d’affranchis qui appartenaient à des familles illustres ; mais des affranchis les croyances montaient vite jusqu’aux maîtres, et une fois que le christianisme était entré dans une maison, il s’insinuait partout et gagnait tout le monde.