Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 26.djvu/589

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

orientaux du prince, elle avait gagné vers la même époque la noble Pomponia Græcina, femme du consulaire Plautius, le vainqueur de la Bretagne. Elle fut accusée sous Néron « de superstition étrangère, » ce qui ne pouvait désigner alors que le judaïsme ou le christianisme, et, comme on a retrouvé dans le cimetière de Calliste les tombes de ses descendans, on peut supposer avec beaucoup de vraisemblance qu’elle était bien réellement chrétienne. Quelques années plus tard, la foi nouvelle pénétra jusque dans la famille des empereurs, s’il est vrai, comme on a toute sorte de raisons de le croire, que Domitille et son mari Flavius Clemens, les plus proches pareils de Domitien et de Titus, étaient chrétiens comme Pomponia Græcina. Clemens et Domitille ne devaient pas être seuls : il est rare qu’un exemple qui part de si haut ne soit pas imité de quelques personnes. On peut donc croire que le christianisme, même dans les premières années, a fait quelques conquêtes importantes dans cette aristocratie de naissance ou d’argent qui menait l’empire. Ces grands personnages qu’il attirait à lui devaient d’abord l’aider de leur crédit, et peut-être ont-ils plus d’une fois arrêté les coups qu’on se préparait à lui porter, comme fit cette Marcia, la maîtresse de Commode, « qui craignait le Seigneur, » et qui protégeait les évêques. Ils ont dû surtout enrichir par leurs libéralités cette caisse commune qui, dès l’époque des Antonins, était fort importante et qui permit bientôt à l’église de Rome d’étendre ses aumônes presque sur le monde entier. Les catacombes nous ont déjà révélé les noms de quelques-uns de ces grands seigneurs devenus chrétiens de bonne heure et quand il y avait du péril à l’être ; elles nous en feront connaître beaucoup d’autres. C’est sans doute un élément assez faible dans cette société naissante, mais il en faut tenir compte. Quand on le néglige, il est moins aisé de comprendre comment le christianisme soutint les attaques de ses ennemis et parvint à les vaincre.

Une autre question peut-être plus importante encore, qui est très loin d’être vidée, mais que l’étude des catacombes a rendue un peu plus claire, est celle de la confiance que méritent les vies des saints et les actes des martyrs. Ces documens sont fort discrédités non-seulement auprès des sceptiques, mais parmi les gens pieux, comme Tillemont, quand ils ne croient pas que la dévotion fait un devoir de renoncer à la critique. Tels qu’ils nous sont parvenus, ils ne méritent guère de créance. Il s’y est mêlé, dans les siècles qui ont suivi la paix de l’église, des légendes ridicules. Comme on les lisait dans les fêtes des saints pour l’édification des fidèles, on y ajoutait sans scrupule tout ce qui pouvait frapper les imaginations et toucher les cœurs. La rhétorique surtout, la mauvaise rhétorique du VIIe et du VIIIe siècle les a tout à fait gâtés. Il faut pourtant avouer que, quelque défiance qu’ils nous causent, depuis les dernières fouilles des