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II

Deux jours après, tous les émigrés rentrèrent dans leurs maisons, précédant l’armée de Beaucaire, à l’approche de laquelle la garde urbaine se dispersa. Comme toute autorité faisait défaut, dans chaque quartier, les citoyens, à l’instigation des autorités provisoires, s’armèrent pour se protéger contre un retour des fédérés. Ce fut une garde nationale improvisée, à la formation de laquelle présida le plus grand désordre. C’est ainsi que certains individus se trouvèrent revêtus d’un semblant d’autorité dont ils se disposaient à abuser. Les documens administratifs et judiciaires nous ont transmis leurs noms ; mais nous ne citerons que ceux qu’une condamnation solennelle ou la notoriété publique a livrés à l’histoire. Parmi eux se trouvaient Truphémy, un boucher, jeune encore, que les dépositions nous dépeignent comme un personnage redoutable, à cheveux crépus, à gros favoris rouges, et Jacques Dupont, surnommé Trestaillons, petit homme brun, nerveux et frêle, nommé capitaine d’une compagnie à l’aide de laquelle il commit d’abominables crimes dont il ne nous a pas été possible de retrouver des preuves décisives dans les pièces officielles qui ont passé par nos mains, mais dont il existe ailleurs un témoignage irrécusable et décisif dont nous allons reparler. Ces deux hommes répandirent la terreur dans les faubourgs et dans les environs de Nîmes, parmi ce peuple d’artisans dont ils faisaient partie. Ils eurent des complices que les tribunaux acquittèrent ultérieurement, à l’exception d’un seul, Jacques Servent dit le Camp, qui fut condamné en même temps que Truphémy. Les historiens royalistes n’ont pas plaidé les circonstances atténuantes pour ce dernier. Tous reconnaissent que c’était un scélérat. Ils se sont efforcés au contraire d’en trouver pour Trestaillons, dont, pour un motif ignoré, la veuve recevait encore une pension en 1830. Ce misérable avait fait partie des volontaires du duc d’Angoulême. Il possédait trois lopins de terre[1] et, pour expliquer les actes auxquels il se livra, on raconta d’abord que pendant son absence, des individus appartenant au parti bonapartiste avaient dévasté sa petite propriété, arraché ses oliviers et ses vignes. C’était la version la plus répandue en 1816. Puis, comme ces faits dénués de toute preuve ne pouvaient justifier le caractère odieux des représailles exercées, on ajouta que la femme de Trestaillons avait été outragée ; de telle sorte que, malgré la plupart des dires contemporains qui l’accusent d’avoir été un sinistre bandit, il ne serait en réalité qu’une victime des ennemis de la royauté, qui aurait tiré vengeance de ceux dont il avait à se

  1. Ce qui lui valut son surnom patois de Très Taillons, ce qui veut dire trois morceaux.