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le caprice qui manque à son imagination sans fébrilité et sans spontanéité ; sa nature, si bien douée d’ailleurs, sans être impuissante à cette tâche gracieuse, y est cependant inégale. Il faut laisser la fantaisie aux pauvres nerveux comme Alfred de Musset, à ceux dont la poésie, selon le mot d’un excentrique qui a parfois rencontré de singuliers bonheurs d’expression, donne l’impression d’un bois de lilas foudroyé. La fantaisie est leur consolation, à eux les attristés, leur hachich et leur opium ; dans les profondeurs de la rêverie leur cœur trouve l’oubli, et dans les visions radieuses évoquées par le caprice leur imagination trouve un leurre bienfaisant qui les dédommage en illusions des souffrances dont la réalité les blesse. Une Thalie plus franchement garçonnière est bien mieux le fait des sanguins et des musculeux comme lui. Qu’ont besoin ceux-là de sortir de la réalité ? Ils sont assez forts pour s’en défendre, assez bien équilibrés pour n’en être pas attristés, assez sains pour s’en guérir, si elle les infecte, assez bien armés pour s’en venger et pour en venger autrui. Elle est le domaine que la nature leur a donné à exploiter, et ce n’est pas une preuve médiocre de bon sens à M. Augier que de l’avoir compris.

Ce n’est pas qu’il n’y ait un lien marqué et très facile à découvrir entre ces deux théâtres de M. Augier. De toutes ses comédies de fantaisie, par exemple, un certain personnage se dégage, le même sous des noms divers : le Clinias de la Ciguë, le Fabrice de l’Aventurière, le Chalcidias du Joueur de flûte, le Talmay de Philiberte, si l’on veut encore, lequel nous donne pour ainsi dire la clé de l’imagination de l’auteur et nous permet de reconnaître quel était en ces temps heureux de la jeunesse son idéal d’homme ; car nous avons tous un certain type idéal dans la tête à cette époque de la vie, un idéal composé pour moitié au moins de nous-mêmes, et pour l’autre moitié des qualités et surtout des défauts par lesquels nous voudrions nous compléter et nous embellir. C’est assez dire que ce type rêvé est rarement d’une irréprochable perfection morale ; mais c’est assez qu’il soit brillant et fait pour séduire. Ce personnage idéal, ce favori de l’imagination juvénile du poète, c’est un libertin ayant passé fleur, mais ayant gardé bon pied, bon œil, du cheveu, de la dent, et le reste, promu officier dans les rangs du plaisir par les faveurs de l’amour et l’éclat de ses campagnes érotiques plutôt que par titre d’ancienneté, franchement bien né et sachant porter la débauche comme certains ivrognes portent leur vin, sans lui permettre de déranger l’aplomb de son maintien et d’avachir l’élégance de ses manières, d’âme attristée et de cœur sain, guéri de toutes les illusions et surtout de celles du vice, revenant à la candeur à force de science de la vie, et à l’amour naïf à