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débarquait, les indigènes avaient prodigué, comme les jours précédens, les démonstrations d’amitié. Les matelots dispersés, chacun préparant sa charge de bois, les sauvages, armés de piques et de massues, s’étaient rués sur eux par groupes de huit ou dix et les avaient assommés. L’homme sauvé, n’ayant eu affaire qu’à deux ou trois ennemis, s’était défendu, puis dérobé au milieu des broussailles. Avant de prendre la résolution d’essayer d’atteindre les navires à la nage, il avait vu les insulaires dépouiller ses camarades tués et les couper en morceaux. N’est-il pas bien probable que le capitaine et sa suite ont subi le même sort ? Aucune nouvelle n’est parvenue. Les officiers qui restaient à bord des deux navires se concertent sur les moyens de sauver les trois postes établis à terre ; une chaloupe armée, sous le commandement d’un officier, est expédiée pour faire une reconnaissance le long de la côte et porter secours aux travailleurs de l’atelier de la forêt. Le lieutenant Crozet avait passé la nuit au milieu des ouvriers ; il dirigeait le transport des mâts lorsqu’il aperçut une troupe de matelots marchant en bon ordre, le fusil garni de la baïonnette ; c’était la certitude d’un événement grave. Informé par le chef de la troupe, Crozet fit cesser les travaux, emporter les ustensiles, charger les fusils ; on partit, et, pour arriver au bord de la mer, il fallut passer au travers de groupes d’indigènes dont les chefs se plaisaient à répéter : « On a tué Marion, Marion est mangé. » A peine les Français sont-ils dans la chaloupe que les sauvages crient, menacent, jettent des pierres et des javelots. Comme il importe de se faire craindre, on tire sur les plus acharnés ; nombre d’hommes tombent, à la complète stupéfaction de leurs camarades incapables de comprendre qu’on puisse être frappé à distance.

Il restait à prendre les malades installés sur la petite île ; l’opération s’effectua sous la garde de soldats de marine. On ne pouvait partir sans avoir de l’eau et du bois en quantité suffisante ; les descentes sur la Grande-Terre présentant de véritables dangers, il fallait à tout prix se rendre maîtres de l’île où coulait un ruisseau d’une eau fraîche et limpide, où l’on trouvait du bois en abondance. Il y avait un gros village, les chefs multipliaient les menaces et les provocations ; les marins français les repoussèrent à la baïonnette, ouvrirent la fusillade, tuèrent une cinquantaine d’hommes et incendièrent toutes les cases. Dans le dessein de recueillir des preuves matérielles de la mort de Marion, un fort détachement fut conduit à la Grande-Terre et dirigé sur le village où le capitaine avait dû être tué. Les habitans avaient pris la fuite à l’approche de la petite troupe ; on aperçut le chef qui se sauvait portant sur ses épaules le manteau du commandant du Mascarin. Des vêtemens, les pistolets