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de l’un des jeunes officiers assassinés, furent découverts ainsi que des fragmens des corps où se voyaient les empreintes des dents des cannibales. Dans un autre village, on trouva encore des lambeaux des hardes des gens massacrés ; le feu, partout allumé, dut faire disparaître jusqu’aux dernières traces de l’affreux drame.

Par quel motif, se demande-t-on, les Néo-Zélandais se livrèrent-ils à un acte d’épouvantable sauvagerie, de férocité inouïe, après avoir, durant plus d’un mois, accablé les étrangers de prévenances et de démonstrations d’amitié ? Crozet, l’historien de la terrible aventure, n’a pu reconnaître aucune cause. A divers voyageurs, il a semblé probable que le chef de la tribu avait voulu venger le sort de son parent que Surville avait emmené. Une explication bien différente a été recueillie par un marin qui fréquenta souvent les côtes de la Nouvelle-Zélande au commencement du siècle actuel[1]. Il y avait sur le bâtiment de Marion, aurait dit un témoin du massacre, une femme européenne qui était venue laver du linge au village de Parao ; des gens de la tribu de Wangaroa lui en dérobèrent plusieurs pièces. Puis une rixe s’engagea entre les matelots et les indigènes au sujet de quelques poissons pris dans un filet. Sur ces entrefaites, le capitaine Marion, ignorant ce qui se passait, mit pied à terre, il fut tué. Des centaines d’insulaires ont payé de la vie l’acte de cruauté ; un demi-siècle plus tard, les Néo-Zélandais ne parlaient encore de l’événement qu’avec une sorte d’effroi.

Crozet a tracé des habitans de la Nouvelle-Zélande un portrait digne d’être conservé ; on aura par la suite l’occasion d’en rapprocher le portrait de leurs descendans dominés par la civilisation européenne. « Je n’ai trouvé dans ces hommes naturels, dit le marin français, que des enfans méchans, d’autant plus dangereux qu’en général ils sont plus forts que le commun des hommes même robustes. Je les ai vus passant, dans un quart d’heure, de la joie la plus imbécile à la tristesse la plus noire, de la tranquillité à la fureur, et revenir subitement à un rire immodéré. Je les ai vus tour à tour et sans intervalle doux, caressans, puis durs et menaçans. Jamais longtemps dans la même assiette, mais toujours dangereux et traîtres. » Crozet a distingué dans cette population, d’après la couleur de la peau, trois races d’hommes, et pour chacune, tout au moins pour deux d’entre elles, il suppose une origine particulière. La Nouvelle-Zélande lui est apparue comme une grande montagne qui aurait autrefois fait partie d’un vaste continent. Il dépeint la côte occidentale, escarpée, sans havres, paraissant peu habitée, la

  1. Le capitaine Peter Dillon, Voyage aux iles de la Mer du Sud, t. Ier, p. 200. — Paris, 1830.