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servir d’une métaphore vulgaire, l’Italie, redevenue indépendante, a fait coup double, atteignant à la fois la liberté et l’unité. Le peuple allemand a bien, lui aussi, visé simultanément au double but atteint par son heureux émule ; il n’a point touché aussi juste. Le nouvel empire d’Allemagne ne saurait encore être donné comme un modèle de gouvernement libre. A cet égard, l’on pourrait dire, sans leur faire injustice, que l’empereur Guillaume et M. de Bismarck n’ont guère accompli que la moitié de la tâche exécutée par Victor-Emmanuel et Cavour.

C’est qu’en effet Victor-Emmanuel a été pour son peuple le fondateur de la liberté non moins que le restaurateur de l’indépendance et de l’unité nationales. A la bien regarder, cette seconde partie de l’œuvre n’est ni moins grande ni moins admirable que l’autre dont l’éclat semble la rejeter dans l’ombre, peut-être même eût-elle paru d’avance plus malaisée et plus incroyable encore. Nous qui avons débuté plus tôt, et qui depuis près d’un siècle cherchons en vain notre assiette politique, nous pouvons comprendre ce que c’est pour un peuple que d’installer chez lui un gouvernement libre. Qu’est-ce donc quand, ainsi qu’au sud des Alpes, le gouvernement parlementaire a été improvisé de toutes pièces, et cela chez quelle nation ? Dans cette terre des morts que l’étranger parcourait comme un musée de tombeaux, dans cette Italie dont les lieux communs littéraires avaient fait le type classique de la décadence, chez un peuple vieilli qui semblait condamné à copier les chefs-d’œuvre qu’il ne savait plus créer, et dont toute l’ambition paraissait bornée aux triomphes de l’opéra. Un parlement italien, des élections à Rome, à Ravenne, à Venise, des députés des Abruzzes, des Calabres, de la Sicile, des Romagnes, qu’eussent dit d’une telle prophétie les Staël, les Chateaubriand, les Byron, les Stendhal, les Lamartine ? Qu’en eût-on pensé encore en 1848 et à la veille de 1860 ? Il semblait qu’on ne pût faire fleurir la liberté sur la terre où fleurit l’oranger. Aux jours mêmes où s’accomplissait ce prodige, dans les années qui suivirent la guerre d’Italie, je me rappelle encore l’incrédulité des hommes les plus libéraux et les plus bienveillans pour la péninsule. Le miracle s’est fait cependant, il dure depuis dix-huit ans, il ne peut plus être mis en doute ; l’Italie, la dernière venue d’entre elles, est la plus libre des grandes monarchies du continent.

Cette sorte de primato libéral, cette gloire la plus enviable de toutes, l’étranger n’y a rien à revendiquer, elle appartient tout entière au peuple italien et à son roi. C’est peut-être la première fois dans l’histoire qu’une nation a pu passer soudainement, et comme sauter d’un bond du régime le plus despotique au régime le plus libéral. Phénomène étrange, probablement sans précédent, c’est dans les conspirations et les sociétés secrètes, c’est dans les