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prisons et les bagnes que ce peuple semble s’être formé à la vie publique. En Italie, on pourrait dire que la servitude a été l’école de la liberté, et le despotisme l’apprentissage du self-government, tant le bon sens et le sang-froid, tant la prudence et le calme du peuple italien ont été mûris par les souffrances. Dans cette œuvre de liberté, comme dans celle de l’unité, la première part revient à la nation, la seconde à Victor-Emmanuel.

Les hommes d’état de l’Italie, les nouveaux venus des nouvelles provinces, comme le vieux personnel piémontais, ont tous contribué à cette rapide acclimatation du régime parlementaire. Tous, à commencer par les chefs des partis rivaux, par les Minghetti et les Sella, les Depretis et les Cairoli, n’en attribuent pas moins le principal honneur à Victor-Emmanuel. L’établissement du gouvernement constitutionnel, c’est là en effet l’œuvre propre, l’œuvre personnelle du dernier roi. Pour fonder dans un pays le régime parlementaire, il faut avant tout un chef d’état qui le comprenne et le respecte. Victor-Emmanuel a, de l’aveu de tous, été le modèle, le type même du souverain moderne, n’appartenant qu’à la nation, ne se laissant compromettre dans aucune querelle, classer dans aucun parti. Comme roi parlementaire, le premier roi d’Italie a été le digne émule. du premier roi des Belges, dont on nous retraçait récemment ici même avec tant de sagacité les maximes et les leçons[1].

Sous ce règne si tourmenté à travers tant d’alternatives et de dangers de toute sorte, aucun parti, aucun ministère, aucun homme n’a jamais été maintenu au pouvoir sans qu’il plût au parlement de le voir aux affaires ; aucun n’en a été écarté sans que le parlement l’en voulût éloigner. Aussi, sauf au lendemain de Novare, où le jeune roi de Sardaigne dut congédier une chambre dont les impolitiques exigences mettaient la paix et l’état en péril, le Piémont et l’Italie n’ont-ils connu d’autres crises parlementaires que celles qui surgissaient du sein du parlement.

Ce métier de roi constitutionnel, Victor-Emmanuel le remplissait avec tant de bonne grâce et de bonne humeur qu’il lui semblait naturel. Cette constante déférence aux vœux du parlement et de la nation ne venait chez lui ni d’ignorance, ni d’incapacité, ni d’indifférence. Victor-Emmanuel n’était ni un mannequin couronné, ni un roi de théâtre, il ne fut jamais le Louis XIII d’un Richelieu. Cet intrépide soldat, cet infatigable chasseur, n’était ni un roi vulgaire ni un politique médiocre. Depuis la mort de Cavour, le roi était sans conteste le premier politique de son royaume, et dans quelques circonstances, après Villafranca par exemple, le

  1. Voyez, dans la Revue du 15 janvier, l’étude de M. Saint-René Taillandier.