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dont ils vénéraient l’autorité spirituelle. Le roi disait à son parlement : « Nous sommes à Rome, nous y resterons ; » l’homme aimait peu la ville aux sept collines et semblait presque la redouter. Victor-Emmanuel, demeuré toujours Piémontais, évitait le séjour de sa nouvelle capitale, et, quand son devoir l’y appelait, il préférait à son palais officiel et aux anciens appartemens des papes quelque villa romaine. Une prédiction comme il en circule tant dans la ville éternelle annonçait depuis longtemps que le premier roi d’Italie mourrait à Rome, au Quirinal. Je ne sais si cette prophétie était montée jusqu’au roi et avait rencontré chez lui de secrets pressentimens. Ce qui est certain, c’est qu’en expirant à Rome, dans l’ancien palais des conclaves, Victor-Emmanuel est tombé en soldat frappé à son poste.

La mort de Victor-Emmanuel a montré ce que dans les relations de l’église et de l’état on peut attendre du présent et espérer de l’avenir. Le premier roi d’Italie, le spoliateur de la papauté, regardé par tant de catholiques comme un excommunié, est mort dans l’ancien palais des papes en recevant publiquement les sacremens de l’église, sans que personne lui imposât une de ces rétractations in extremis si faciles à obtenir des mourans. De son palais en interdit, le roi d’Italie a été porté solennellement, avec le concours du clergé, sous la ronde coupole de Sainte-Marie-des-Martyrs[1], où il repose dans la terre bénite sous la garde des prêtres dont il a détrôné le chef. En vérité, cette mort et ces funérailles chrétiennes de l’usurpateur, ces services solennels, célébrés dans les nombreuses cathédrales de la péninsule, nous transportent bien loin du moyen âge, bien loin des anathèmes et des excommunications des Grégoire VII ou des Boniface VIII, bien loin même des menaces d’interdit faites aux envahisseurs de l’héritage de saint Pierre en 1860 ou en 1870. Certes il y a là un signe du temps, une preuve qu’au milieu de toutes ses résistances et ses protestations, l’église peut à l’occasion s’accommoder des faits accomplis. Il faut savoir gré au vieux pontife, qui allait lui aussi descendre au tombeau, de n’avoir pas devant ce cercueil poussé jusqu’aux dernières extrémités l’inflexibilité du non possumus. Quant au roi, dont le corps est déposé au Panthéon, il a eu dans la mort cette dernière bonne fortune, que sa tombe a été une prise de possession et qu’en même temps ses funérailles ont été un indice d’apaisement.

La maison de Savoie voit diminuer d’année en année le nombre des intransigeans de droite, il ne serait pas impossible qu’un jour

  1. C’est le nom ecclésiastique du Panthéon d’Agrippa transformé en église depuis le VIIe siècle.