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elle trouvât ses plus fidèles sujets dans les familles naguère les plus attachées aux princes détrônés. Vis-à-vis des conservateurs, la monarchie unitaire sera bientôt la seule personnification de l’ordre et la meilleure garantie des intérêts ; vis-à-vis des libéraux et des patriotes, elle restera longtemps encore la personnification de l’unité, de l’indépendance, de la puissance nationale. « Si je croyais, disait le roi Victor-Emmanuel, que l’Italie dût être plus forte avec la république, je descendrais du trône, et je ne demanderais à conserver que le commandement d’un régiment. » Peu de personnes dans la péninsule et à l’étranger pensent aujourd’hui que l’Italie puisse être plus forte avec la république qu’avec la monarchie, qui lui a donné le jour et l’a introduite parmi les grandes puissances. Beaucoup de démocrates ont appliqué à la maison de Savoie le mot à tort ou à raison prêté à Lafayette à propos de la monarchie de juillet ; beaucoup se sont dit que, pour l’Italie, la maison de Savoie était la meilleure des républiques, et la royauté parlementaire le gouvernement qui pouvait le mieux lui assurer la liberté au dedans, la considération au dehors.

Plusieurs raisons font qu’en Italie l’avènement de la république ne paraît ni prochain ni désirable. A cet égard, nous pourrions appliquer à nos voisins des Alpes beaucoup des considérations que nous suggéraient naguère nos voisins des Pyrénées[1]. L’établissement d’une république régulière rencontrerait en Italie à peu près les mêmes obstacles qu’en Espagne. Dans les deux péninsules, une révolution qui affaiblirait le pouvoir central pourrait mettre temporairement en danger l’existence même de la nation. Avec la république le régionalisme prenant des forces nouvelles risquerait de tourner au fédéralisme, le fédéralisme de dégénérer en cantonalisme qui conduirait à l’anarchie, à la guerre civile, à la décomposition nationale. Une révolution italienne serait ainsi exposée à passer par les mêmes phases qu’une révolution espagnole pour aboutir peut-être à une dictature militaire ou théocratique. Dans ce pays récemment unifié, la république pourrait donc compromettre ce qui tient le plus au cœur de la plupart des républicains, ce qu’ils ont eu l’honneur d’être les premiers à deviner, à prêcher, à préparer, l’unité nationale.

Plus je considère la situation de l’Italie, plus il me semble qu’au sud des Alpes la monarchie n’est pas comme en France une forme de gouvernement que l’on puisse modifier sans péril pour la vie de l’état ; la royauté est, pour un certain laps d’années

  1. Voyez l’étude ayant pour titre : une Restauration ; l’Espagne sous Alphonse XII. Revue du 15 mai 1877.