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bulgare, la proportion se renverse au sud des Balkans ; à mesure qu’on s’avance vers L’ouest ou qu’on se rapproche de la mer, l’élément bulgare diminue, et il finit même par disparaître complètement. Sur 6 millions d’âmes que comprendra la future principauté, on ne comptera guère plus de 3 millions de Bulgares contre 1 million et demi de musulmans, 1 million de Grecs et 4 ou 500,000 Albanais ou Illyriens. Une moitié de la population continuera donc d’être soumise à une race étrangère chez laquelle elle ne trouvera peut-être pas pour ses mœurs, ses usages et sa foi religieuse la tolérance et l’impartialité que les chrétiens de la Turquie d’Europe ont toujours rencontrées chez les musulmans. La même objection peut être élevée contre d’autres stipulations du traité. Les territoires annexés, au Monténégro sont exclusivement habités par des Albanais musulmans ou catholiques, et les districts cédés à la Servie sont peuplés d’Albanais et de Bulgares.

Si la Russie n’avait suivi, comme elle prétend l’avoir fait, d’autre règle que la distribution des populations, jamais elle n’aurait étendu la Bulgarie jusqu’à l’archipel, mais elle tenait essentiellement, non pour les Bulgares, mais pour elle-même, à donner à la principauté un port sur cette mer. Aussi la côte de l’archipel, depuis le golfe d’Orfano jusqu’au golfe de Lagos, devient-elle terre bulgare, bien qu’il soit impossible d’y trouver un seul village qui ne soit exclusivement peuplé de Grecs ou de musulmans. A l’embouchure du Karasou, en face de l’île de Thaso et abrité par elle, se trouve le meilleur mouillage de l’archipel. C’est là, à Kavala, que sera créé et fortifié avec l’or de la Russie un grand port pour lequel la nature n’a presque rien laissé à faire à l’homme. Ce port sera une station navale, admirablement placée, d’où une escadre russe surveillera facilement la navigation de la mer Egée et l’entrée des Dardanelles. Le port d’Antivari, que la Turquie cède au Monténégro, est destiné à un rôle semblable. La Russie acquiert ainsi la disposition de deux ports excellens, l’un à proximité des Dardanelles, et l’autre à l’entrée de l’Adriatique ; elle pourra sans crainte faire quitter à ses escadres les eaux de la Baltique, où les glaces les emprisonnent pendant de longs mois, et les tenir dans la Méditerranée, où Kavala et Antivari leur serviront de dépôts en temps de paix et de refuges en temps de guerre, sans qu’elle ait à se préoccuper de défendre des ports protégés par la neutralité de la Bulgarie ou du Monténégro ; ils lui seraient plus onéreux et moins utiles s’ils lui appartenaient en propre. C’est aux nations qui ont des intérêts dans la Méditerranée à réfléchir au parti que la Russie pourra tirer de cette sorte toute nouvelle de fidéi-commis.

Tout vestige de la domination musulmane doit disparaître de la Bulgarie : les forteresses seront rasées ; aucun soldat turc n’y pourra