Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 26.djvu/950

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Si les puissances se mettaient d’accord sur une modification grave, si, par exemple, elles étaient unanimes à demander que la Bulgarie ne s’étendît pas au sud de la chaîne des Balkans, ou que les forteresses du quadrilatère fussent conservées, avec droit pour la Turquie d’y tenir garnison, la Russie était assurément maîtresse de repousser cette modification ; mais elle demeurait atteinte et convaincue, aux yeux de l’opinion européenne, d’avoir maintenu une exigence condamnée par le jugement de toutes les puissances, et son refus, en mettant fin à toute délibération, faisait peser sur elle seule la responsabilité de l’échec du congrès et de toutes les conséquences qui en pouvaient résulter. C’était là la situation dans laquelle la Russie s’était trouvée à la conférence de Vienne en 1855. Son refus de consentir à la neutralisation de la Mer-Noire mit fin à la conférence ; mais l’accord qui s’était établi entre les puissances subsista après la séparation des plénipotentiaires, et se traduisit par un ultimatum devant lequel la Russie dut céder. Le gouvernement du tsar ne voulait à aucun prix qu’un accord pût s’établir contre lui au sein du congrès, et le mettre dans l’alternative de céder sur des points importans ou d’encourir le danger d’une nouvelle coalition. Ce gouvernement admettait qu’aucune des stipulations du traité de San-Stefano ne devait être ignorée du congrès, afin que cette assemblée fût assurée de délibérer en connaissance de cause : aussi annonçait-il l’intention de communiquer officiellement le texte du traité à toutes les puissances. Il reconnaissait que chaque plénipotentiaire avait le droit de dire son sentiment sur tous les articles du traité sans distinction. Il reconnaissait encore que les questions auxquelles on serait unanime à attribuer un caractère européen ne pourraient être valablement et définitivement réglées que par le congrès, mais il se réservait le droit d’accepter ou de refuser la discussion sur toute question qu’il jugerait exclusivement russe. La réunion des représentans des puissances aurait eu ainsi tout à la fois le caractère d’une académie politique et d’un congrès : les plénipotentiaires auraient eu le droit de dire leur sentiment sur chacune des stipulations intervenues entre la Russie et la Turquie, mais on n’aurait mis en discussion que les articles sur lesquels la Russie aurait accepté la juridiction du congrès. Lord Derby avait donc raison de dire au parlement que le différend entre la Russie et l’Angleterre ne portait pas sur une question de mots, mais sur le fond même des choses.

M. de Bismarck comprit immédiatement combien les points de vue auxquels se plaçaient les deux gouvernemens d’Angleterre et de Russie étaient inconciliables, et, pour prévenir un échec déjà trop facile à prévoir, il proposa de remettre à une conférence préliminaire,