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l’avenir consacrera peut-être un jour, mais dont l’application, prématurée dans les conditions où se trouvait l’Europe, était menaçante pour notre sécurité. Ce n’est pas que le programme du 11 juin fût dégagé de toute arrière-pensée; si notre politique laissait faire et regardait faire, c’était avec l’espoir d’intervenir au dernier moment. Mais ses prétentions, tant que notre système défensif ne serait pas sérieusement compromis, se bornaient, on le savait à Vienne aussi bien qu’à Berlin, à de légères rectifications de frontières du côté de la Sarre et du Palatinat. Le Rhin proprement dit serait resté allemand, nous n’aurions demandé tout au plus que la formation d’un état secondaire neutre à l’instar de la Belgique.

La lettre de l’empereur ne fut pas mieux accueillie à Berlin qu’à Paris, elle éveilla dans toute l’Allemagne un véritable sentiment d’appréhensions, car elle semblait réserver à la France le bénéfice de toutes les éventualités. On en conclut que les rapports entre la cour des Tuileries et le cabinet de Berlin n’avaient pas le caractère qu’on leur prêtait, et que la France pourrait bien intervenir et s’opposer à l’agrandissement de la Prusse, contrairement aux assertions de M. de Bismarck.

Dans les cercles de la cour, on ne se cachait pas pour s’attaquer à la politique du premier ministre. — « On nous a indignement trompés, s’écriait le prince Lichnowski, on a trompé le roi. Je connais l’empereur, il ne se paiera pas de mots. Nous n’aurons rien en Allemagne, ou bien il nous faudra acheter nos conquêtes au prix d’énormes sacrifices. S’il n’y a pas de traité, nous perdrons comme Allemands plus que nous ne gagnerons comme Prussiens, et nous n’aurons servi qu’à tirer les marrons du feu pour les Italiens. » Ce dont tout le monde était certain, c’est que les revendications que nous entendions exercer, dans le cas d’un agrandissement de la Prusse, porteraient nécessairement sur des provinces allemandes et non pas sur des pays limitrophes étrangers à la lutte.

M. de Bismarck demeura impassible au milieu de ces récriminations. Loin de faire des objections, il reconnut, en s’entretenant de la lettre avec notre ambassadeur, que les opinions qui s’y trouvaient exprimées étaient parfaitement conformes aux sentimens que l’empereur lui avait invariablement témoignés, toutes les fois qu’il avait eu l’honneur de l’approcher. Il lui donna en outre l’assurance que telle était également l’impression du roi, bien que les dernières lettres de son ambassadeur à Paris fussent de nature à lui causer de nouvelles inquiétudes sur notre attitude éventuelle.

Le général de Manteuffel avait envahi, sur ces entrefaites, le Holstein, il avait dispersé les états, procédé à des arrestations et forcé le général Gablentz à se replier en toute hâte sur Hambourg et Cassel. L’envoyé autrichien à la diète protesta contre ces violences et