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LE ROMAN CLASSIQUE EN ANGLETERRE.

ce début ironique de l’un de ses premiers ouvrages, il n’est pas probable que miss Austen ait voulu faire allusion à sa propre famille, et cependant on ne peut s’empêcher de trouver une certaine ressemblance entre la position de son héroïne imaginaire et sa propre situation. Comme Catherine Morland, elle faisait partie d’une nombreuse famille, et rien n’indiquait en elle la femme destinée à la gloire.

Son père, George Austen, était pasteur de village, dans le Hampshire ; il avait, suivant l’usage de l’époque, deux cures, mais cette pluralité de bénéfices n’était pas pour l’enrichir, car les paroissiens réunis des deux hameaux ne dépassaient pas le chiffre de trois cents, et pour aller de Deane à Steventon les chemins étaient si mauvais qu’on ne pouvait se servir que de charrettes. Ce fut du moins avec un véhicule de ce genre que le recteur (M. Austen portait ce titre), après y avoir mis ses meubles et sa femme, fit son déménagement lorsqu’il alla s’établir définitivement à Steventon. Au reste, dans certaines parties de l’Angleterre, les routes étaient alors tellement négligées qu’il ne fallait rien moins qu’une occasion solennelle, un mariage ou un enterrement, par exemple, pour qu’on s’avisât d’en combler les ornières. S’il était difficile d’arriver à Steventon, à certains égards il était méritoire d’y rester, car la société qu’on y trouvait, composée de propriétaires terriens, petits ou grands, n’offrait, vu l’ignorance et la grossièreté communes à cette époque, que des ressources assez restreintes. Quel ne devait pas être l’embarras d’un lettré, d’un ancien fellow d’Oxford, comme l’était M. Austen, quand son opulent voisin, le squire, venait lui dire : « Vous qui savez toutes ces sortes de choses, renseignez-nous donc. Est-ce Paris qui est en France, ou si c’est la France qui est dans Paris ? Nous nous querellons toujours à ce sujet, ma femme et moi. » Il ne lui restait, tout en accomplissant les devoirs de sa charge, qu’à se renfermer dans le cercle de sa famille et à faire l’éducation de ses enfans, ce qui n’était pas une sinécure, car Jane Austen avait une sœur et cinq frères. Deux de ces derniers, Francis et Charles, se distinguèrent dans une période brillante de l’histoire de la marine anglaise et parvinrent à des grades élevés. Quant aux autres, ils ont fait moins grande figure dans le monde. On sait peu de chose sur l’enfance et la jeunesse de miss Austen, qui s’écoulèrent au presbytère de Steventon avec une monotonie bien faite pour désespérer la patience d’un biographe. Le bonheur domestique ne se raconte pas, et pendant vingt-cinq ans rien ne semble être venu troubler la modeste prospérité des Austen. Située au milieu d’une contrée peu pittoresque, la maison du recteur était d’une simplicité toute rustique : aucunes corniches n’y séparaient les murs des pla-