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Rien ne se fait sans argent. Il est vraisemblable que Stephens, au début, en reçut des sociétés secrètes du continent et de la police russe, qui avait intérêt à créer cette difficulté au gouvernement anglais. Un peu plus tard, chaque membre de la fraternité irlandaise dut payer une cotisation. À quiconque s’y refusait, on ne ménageait point les menaces. Il n’est guère contestable que Stephens réunit par ce moyen des sommes considérables, même avant que ses complices d’Amérique eussent pris l’habitude de lui venir en aide. Son budget fut donc assez vite en équilibre. Quant au programme de réformes qu’il voulait faire triompher, il ne tarda pas à le faire connaître. Le but avoué était d’expulser le conquérant saxon, de proclamer la république, ensuite de dépouiller les propriétaires étrangers, de partager leurs biens, ainsi que ceux de l’église, entre les paysans. Il devait y avoir un parlement national, des assemblées provinciales dotées d’attributions étendues. Aucune religion n’aurait un droit de suprématie. Ceci n’importe guère, au surplus, car il est bien entendu que, si Stephens et ses compagnons avaient réussi, la direction du mouvement leur eût bientôt échappé. Chaque affilié entendait à part soi faire la révolution à sa guise ; quelques-uns ne cachaient guère que le premier acte nécessaire était de massacrer les représentans de l’autorité anglaise et ceux qui lui donnaient leur appui. D’autres parlaient de mettre à mort tous les hérétiques. Modérés ou énergumènes, les fenians se multiplièrent très vite. Il est à croire que dès 1857 le nombre en était grand dans tous les comtés, à l’exception peut-être de l’Ulster, où les orangistes eurent toujours la majorité.

O’Mahony avait marché moins vite aux États-Unis. Avant de quitter Paris, il s’était laissé persuader que les conspirateurs du Nouveau-Monde devaient être subordonnés à leurs associés d’Europe. Quelques-uns des Irlandais établis en Amérique avaient fait fortune : tous étaient fidèles au souvenir de la mère patrie, mais ils n’étaient pas en situation de diriger avec à propos un mouvement insurrectionnel. Leur rôle ne pouvait être que de fournir de l’argent, des armes, des munitions ; on comptait aussi sur eux pour influencer l’opinion publique. Par leurs votes dans les élections, ils pouvaient faire entrer aux affaires des hommes d’état hostiles à l’Angleterre, favorables aux revendications de la race celtique contre la race saxonne. Les Irlandais émigrés aux États-Unis ne s’étaient jamais confondus dans la masse de la population. Beaucoup étaient affiliés au ribbonisme ; un grand nombre s’étaient enrôlés dans la milice où ils formaient des bataillons spéciaux. Si les réfugiés politiques de 1848 n’avaient pas encore réussi à réunir en faisceau ces bonnes volontés éparses, c’est qu’aucun d’eux n’était de taille à