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et il pensait qu’il était légitime d’exiger du vaincu des dommages-intérêts ; les compensations en argent ne lui suffisaient point, il n’admettait pas que l’Autriche et ses alliés pussent se libérer sans s’imposer des sacrifices territoriaux. Il avait à cet égard des idées absolues et tenaces ; elles se manifestèrent avec la même âpreté en 1871, et M. de Bismarck eut alors, comme à Nikolsbourg, de véritables luttes à soutenir, au point de devoir appeler le prince royal à son aide pour faire prévaloir les conseils d’une modération relative.

La joie fut grande au quartier général lorsqu’on apprit que le dernier mot de la crise était resté au roi. Il se produisit à notre égard un revirement immédiat. C’était à qui ferait ressortir le mérite de la France et de son souverain. On parlait avec conviction de notre mission civilisatrice dans le monde, on se montrait jaloux de nous imiter, de marcher sur nos traces et de nous seconder dans cette belle œuvre de régénération matérielle et morale. On allait jusqu’à rappeler notre confraternité d’armes en 1812, et l’on montrait avec orgueil un régiment de uhlans qui avait fait campagne avec nous contre les Russes.

À Berlin aussi, le retour fut instantané. La cession de la Vénétie et l’annonce de notre médiation avaient provoqué une véritable consternation. On se voyait frustré des bénéfices de la victoire, et il en était résulté un déchaînement général contre M. de Bismarck. Les hommes les plus sages et les plus modérés envisageaient l’avenir avec appréhension, et M. de Schleinitz ne faisait qu’interpréter le sentiment public lorsqu’il rappelait ses amis à la modestie. Cet état des esprits avait fait place à une joie exaltée lorsqu’on apprit le refus de l’Italie, car on estimait que ce refus amènerait un revirement forcé dans la politique française. Oubliant qu’on avait tremblé, on se permit d’avancer que la France s’était laissé intimider, et M. de Bismarck, la veille encore si impopulaire, fut proclamé un grand politique. De tous ses mérites, celui qu’on célébrait le plus, c’était d’avoir berné la France. Plus tard, en face de notre résistance au projet d’annexion, le ministre de l’intérieur, M. le comte d’Eulenbourg, avait réuni les hommes les plus marquans du parti libéral pour concerter avec eux une puissante agitation populaire contre l’intervention française dans les affaires allemandes. On disait que la France venait en arbitre imposer au vainqueur une volonté que seul il devait imposer au vaincu, et l’organe du ministère des affaires étrangères affirmait ouvertement que la guerre n’avait été entreprise que pour constituer l’unité germanique. — « Pourquoi un armistice ? lisait-on dans un journal officieux, le Publiciste. Parce que cela convient à l’empereur des Français. Que veut donc cet homme ? Aurait-il la prétention de jouer le rôle de dictateur en Europe ? Nous ne le souffrirons pas. » — Toute cette agitation,