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spontanée ou de commande, tomba comme par enchantement, ou comme par l’effet d’une consigne, dès qu’on apprit que le cabinet des Tuileries se résignait généreusement au fait accompli.

Le Moniteur s’était chargé du reste de préparer l’opinion publique des deux pays à l’évolution qui venait de s’opérer dans notre politique. Il affirmait que le gouvernement français ne faisait aucun effort pour amener l’Italie à s’entendre séparément avec l’Autriche et qu’il ne songeait pas à exercer une médiation armée en Allemagne. Qu’avait-il besoin de recourir à des mesures comminatoires pour rehausser l’autorité de ses paroles? Il puisait sa force dans le sentiment de profonde confiance qu’il inspirait à tous les belligérans.

M. de Goltz avait promis à l’empereur la conclusion d’un armistice immédiat. On trouva au quartier général qu’il s’était trop engagé. C’était un agent incorrigible : ou il restait en deçà de ses instructions, ou il les dépassait, mais, en fin de compte, c’était toujours à notre détriment. On ne consentit qu’à une suspension d’hostilités de cinq jours, à titre de mesure spontanée émanant du commandant de l’armée, et sans accord préalable avec le gouvernement autrichien. La concession étant faite à la France, l’Italie n’était plus fondée dès lors à prétendre que la Prusse méconnaissait ses engagemens. M. de Barral n’en jugea pas ainsi. Il voulut protester, mais le comte Usedom, qui avait su conquérir une grande situation à Florence, faisait bonne garde. C’était un esprit positif et idéologue à la fois, un diplomate savant doublé d’un poète et d’un artiste, un gentilhomme poméranien amoureux de la renaissance. Il était sous le charme de l’Italie, il en avait la passion, il était ce que nous appelions alors en France un italianissime, son culte s’étendait jusqu’à Garibaldi, on disait même jusqu’à Mazzini inclusivement. Il représentait son pays dans la péninsule depuis de longues années, et déjà à Rome en 1848, à Turin en 1861, il préconisait les avantages d’une alliance entre la Prusse et l’Italie. Il est vrai qu’il la concevait comme M. de Talleyrand entendait autrefois celle de la France et de l’Angleterre et comme M. de Bismarck devait la pratiquer. «Elle est aussi naturelle, me disait-il avec une légère pointe d’ironie à notre adresse, que l’union de l’homme et du cheval, seulement il s’agit de n’être pas le cheval. » Il la préparait du reste en tenant maison ouverte et en prouvant par son érudition, par une connaissance profonde et variée du passé glorieux de l’Italie, que personne ne comprenait mieux que lui ses nécessités présentes. Il n’en fut pas moins, après que l’Italie eut réalisé ses destinées, rappelé à Berlin, victime de la politique qu’il avait servie avec tant de zèle et de bonheur, méconnu à la fois par M. de Bismarck et par le général de La Marmora. Mais, à ce moment si décisif pour les intérêts