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rien de mieux. Il y a des commissions chargées de ce travail de révi sion, et à chaque instant le gouvernement publie les listes de ceux qui ont obtenu une grâce complète ou un adoucissement de leur peine. Le gouvernement est à coup sûr disposé à exercer sans bruit, par l’action incessante de l’indulgence, le droit qu’il a reçu, qui lui a été pour ainsi dire confirmé lorsque ces questions se sont élevées une première fois dans la chambre. Tout ce qui est possible dans ces limites, tout ce qui est humainement et politiquement admissible, on le fait chaque jour, on le fera encore assurément ; on le fera parce qu’on le doit, parce que des pouvoirs libéraux et sincères ne se lassent pas de la clémence. Au-delà, cette amnistie qu’on réclame impérieusement, presque comme un droit, ne serait que le dangereux oubli et du caractère de cette insurrection de 1871 et de la nature de tous ces actes audacieusement criminels qui ont été la page noire de notre histoire contemporaine, qui ont laissé leur marque sinistre sur les murs de cette ville de Paris livrée à l’incendie. On parle souvent d’effacer « les traces des discordes civiles : » c’est le mot consacré ; ces traces ne sont pas toujours si faciles à effacer. S’il ne s’agissait en effet que d’une discorde civile, d’un de ces déchiremens comme il y en a eu souvent, d’une de ces luttes d’opinions ou de passions ardentes qui, sans cesser d’être coupables, ne troublaient que pour un moment la paix des rues sans compromettre le pays, si c’était ainsi, une amnistie pourrait assurément être prononcée. Il y a eu quelquefois de ces amnisties qui ont été des actes habiles, jetant à propos un voile sur le passé. Ici malheureusement tout a une bien autre gravité. Il s’agit, qu’on y prenne bien garde, non plus seulement d’une sédition de parti, mais d’une guerre civile fomentée devant l’étranger, cruellement poursuivie sous les yeux et au profit de l’ennemi, au risque d’aggraver les malheurs de la France et de provoquer de nouvelles mutilations nationales. On n’a qu’à ouvrir ce livre instructif et parfois saisissant que M. Jules Simon a récemment consacré au gouvernement de M. Thiers : on verra là ce que l’insurrection de 1871 a coûté à la France pendant ces terribles mois et ce qu’elle aurait pu coûter encore, ce que M. Thiers avait à dévorer d’angoisses toutes les fois qu’il se voyait réduit à payer à l’envahisseur la rançon des criminelles folies de ce pouvoir de hasard devenu maître de Paris à la faveur de la misère publique. On verra là éclater en traits sanglans ce caractère de trahison nationale qui fait de la commune une insurrection à part, qui laisse sur elle un ineffaçable sLigmate.

C’est là ce qu’on ne peut ni amnistier ni oublier, ce dont il faut se souvenir toujours au contraire, non pas pour se montrer sans pitié à l’égard des hommes, mais par un respect religieux pour la patrie offensée, pour qu’il ne soit pas dit qu’on peut tenter de livrer son pays à