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Agir sur la cause vivante, qu’est-ce sinon agir sur l’organisme vivant, sur un organe ou un élément vivant? Toute l’action régulière des causes extérieures, celle aussi des substances toxiques et médicamenteuses, ne se résume-t-elle. pas en un mot, impressionner l’organisme vivant? L’impression exercée s’accompagne de modifications physiques; mais ces modifications, pas plus ici qu’ailleurs, ne livrent la raison de l’impression produite sur l’organisme vivant.

Le curare, sujet de si admirables études, anéantit l’activité du système nerveux moteur; sans doute il doit en modifier la structure intime, tout en respectant celle du système nerveux sensible; cela est probable, évident même. Mais nous ne sachions pas que Claude Barnard se soit préoccupé de cette modification intime et que ses études aient été moins fécondes pour n’avoir pas révélé le déterminisme de cette altération de structure. Il a observé les effets du curare sur la puissance motrice des nerfs, ou mieux sur le système nerveux moteur, et cette observation est devenue entre ses mains un merveilleux moyen d’analyse. Et de même pour les poisons qui troublent le système des nerfs sensibles; les études de Claude Bernard sur les principes actifs de l’opium sont-elles moins utiles et moins instructives pour ne toucher en rien au déterminisme physico-chimique de l’action de ces alcaloïdes? Nous pourrions multiplier sans fin ces exemples, les étendre à la plupart des applications thérapeutiques, à presque toutes les influences qui, favorables ou hostiles, pressent de l’extérieur sur le monde vivant; nous pourrions remonter de degrés en degrés jusqu’aux influences morales, dont l’action est si profonde et dont le déterminisme est si loin de notre portée. Mais nous nous arrêtons; de pareilles questions sont entraînantes, et nous ne les posons que pour motiver nos réserves.

Ces réserves, si elles doivent nous conduire à régler et à limiter le déterminisme expérimental, ne nous conduisent nullement à contester l’immense part qui lui revient dans l’étude des êtres vivans. Toute l’analyse expérimentale de la vie lui appartient. La détermination des conditions des phénomènes vitaux fait, suivant le noble désir et la noble expression de Claude Bernard, de la physiologie une science conquérante et une science d’action ; elle conquiert non toute la nature vivante, mais toutes les conditions d’existence de cette nature. La conquête n’est-elle point assez belle? Le déterminisme donne à la physiologie prise directe sur ces conditions; il lui vaut toute la certitude qui revient aux études expérimentales de la nature, il introduit la physiologie dans le monde des sciences et la place au sommet de ce monde. Toutes les sciences semblent converger