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vers elle, et se développer pour la servir. Ses progrès sollicitent une élite d’esprits ardens et chercheurs. Cet éclat nouveau de la physiologie, ces ardeurs qui allument l’esprit de découverte, l’honneur qui, dans le monde scientifique, revient à cette science de la vie, devenue science des sciences, tout cela, en bonne justice, s’attache à Claude Bernard et immortalisera son nom. Il fut l’initiateur souverain. Ainsi qu’on l’a dit, il n’était pas seulement un grand physiologiste; il était la physiologie elle-même.

Ajoutons un dernier mot : ce physiologiste sévère, ce défenseur du déterminisme absolu, ne se jetait pas par cela même dans la négation des vérités métaphysiques. Il pensait, il sentait qu’il y a quelque chose au-delà de la prudence scientifique qu’il professait, il reconnaissait deux ordres de connaissances, deux domaines ouverts l’un à l’expérience laborieuse et féconde, l’autre à la pure et libre intelligence; l’un où le déterminisme règne en maître, l’autre où se font entendre les interrogations et les réponses de la conscience réfléchie, méditant sur elle-même, et soulevant les émouvans problèmes de nos origines et de nos destinées. « Nous ne voulons pas, disait-il, nier l’importance de ces grands problèmes qui tourmentent l’esprit humain, mais nous voulons les séparer de la physiologie, les distinguer, parce que leur étude relève de méthodes absolument différentes. » Il y a donc un ensemble réservé de hautes vérités que la physiologie expérimentale ne peut aborder, ni pour les contester, ni pour les affirmer. Peut-être y a-t-il, entre ces vérités d’ordre métaphysique et les vérités doctrinales d’ordre biologique, des rapports auxquels ne s’attachait pas Claude Bernard; mais ni les unes, ni les autres, il ne les repoussait par un dédain de parti pris. Nous avons cité cette page dernière de son dernier livre où il donne aux vérités métaphysiques le nom hardi de sublimités de l’ignorance : ces sublimités illuminaient parfois la physionomie de celui qui fut le plus grand expérimentateur de ce temps; elles y imprimaient ce reflet des choses divines sans lequel toute physionomie d’homme reste incomplète et comme appauvrie.

Claude Bernard, né à Saint-Julien de Villefranche, le 12 juillet 1813, est mort le 10 février 1878. La science française a pris, ce jour-là, un deuil qu’elle portera longtemps. Mais elle est féconde, et Claude Bernard a laissé sur ce sol français des traces suivies et des germes qui lèveront.


CHAUFFARD.