Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 30.djvu/391

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le double sujet qui l’occupe. C’est bien le père qui parle, mais c’est aussi le journaliste littéraire. La lettre est inscrite sous ce titre : A mon fils, religieux théatin, et à tous les jeunes prédicateurs. Voici, en effet, tout un petit traité en quelques pages, traité de morale et traité de prédication. Premièrement, il faut travailler quelque état qu’on ait choisi, il faut étudier et viser haut. N’allez pas répondre que l’humilité est la principale vertu des religieux ce n’est pas être humble que de rester ignorant. L’étrange orgueil au contraire, que de donner le nom d’humilité à sa fainéantise ! Un moine qui n’est que moine est peu de chose. « C’est surtout dans votre profession, mon fils, qu’il est nécessaire de se distinguer par l’étude. Il n’y a presque point de milieu pour vous : qui ne vous estime pas vous méprise, et rien n’est plus vrai dans le fond ni plus juste que le sens que renferme cette badinerie :

« Qu’à la fainéantise un moine dévoué
Et d’une ignorance profonde,
Est considéré dans le monde
Comme l’étaient les rats dans l’arche de Noé. »


Après ces principes généraux de conduite viennent les principes littéraires. Première condition : la sincérité des sentimens. Il faut être touché soi-même pour toucher ses auditeurs. Seconde condition essentielle : ni orgueil, ni timidité. L’orgueil entête, la timidité abat. C’est surtout de la présomption qu’il faut se défier. « On a tant de penchant à se flatter et les hommes sont si près d’eux-mêmes qu’il n’y a point de jeune avocat qui ne croie égaler Nivelle et Dumont, point de jeune poète qui ne prétende être compagnon de Corneille et de Racine, point de jeune prédicateur qui ne s’imagine effacer Fléchier et Bourdaloue. » Là-dessus, l’aimable maître s’amuse à conter des anecdotes et à dessiner des portraits. Aux préceptes les plus élevés sont joints des exemples drolatiques. « Comme le métier de prédicateur (s’il m’est permis d’user de ce terme) est un métier divin, il le faut faire divinement; autrement la parole de Dieu que vous annoncez ne vous met pas à couvert de la censure. Rang, dignité, faveur, rien n’empêche de blâmer ce qui est blâmable. » Et il blâme à sa manière en citant des traits de comédie. Un jour, un prédicateur de haut lignage, ayant dit à son valet de chambre de venir entendre son sermon, lui demande ensuite s’il a bien prêché. — « Oui, monseigneur, mais vous fîtes mieux l’an passé. — L’an passé? mais je ne prêchai point. — C’est en cela monseigneur, que vous fîtes mieux. » — N’est-ce pas là, d’avance, un mot de Gil Blas?

Dans ce métier divin, Boursault n’admet pas qu’on parle politique.