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« Il sied mal à un ministre de l’Évangile de vouloir faire le ministre d’état. » Surtout, point de facéties, point de bouffonneries : « Souvenez-vous que la chaire n’est pas le théâtre et qu’un sermon qui divertit la canaille n’édifie guère les honnêtes gens. Quelque esprit qu’il y ait dans ce que disaient autrefois le petit père André et après lui le petit père Lenfant, qui a été son singe, ce ne sont pas des modèles à imiter. » Défiez-vous encore plus des allusions malignes, des méchancetés sournoises, des médisances, des mensonges.


« La chaire de vérité n’est point faite pour y débiter des mensonges et je ne puis donner le nom de prédicateurs aux arlequins ni aux scaramouches. Si vous avez donc quelqu’un à imiter, que ce soit, — chez les jésuites, Girou, La Rue et Bourdaloue; — chez les pères de l’oratoire, Hubert, de la Roche et La Tour; — parmi les évêques, Mascaron, Fromentières, Fléchier et Soanen, qui sont arrivés à cette dignité par leur mérite; — et parmi les abbés, Desalleurs, Bignon, Anselme et Boileau, qui apparemment y arriveront bientôt. Je dis, si vous avez quelqu’un à imiter; mais, croyez-moi, n’imitez personne. Les plus belles copies ne sont jamais du prix des originaux, et dans l’éloquence aussi bien que dans la peinture, il faut avoir la généreuse émulation d’égaler les maîtres et de n’en imiter aucun. »


Voilà comment Boursault parlait de la prédication et des prédicateurs, dans le temps où La Bruyère écrivait son chapitre de la Chaire, dans le temps où Fénelon préparait ses Dialogues sur l’éloquence. Ce n’est assurément ni la finesse mordante de l’auteur des Caractères, ni la culture exquise de l’archevêque de Cambrai, c’est pourtant, dans sa forme familière et libre, une rhétorique sacrée d’un nouveau genre, rhétorique charmante et piquante, pleine de sages conseils et de joyeux devis.

L’ingénuité dans les circonstances les plus critiques et les plus hautes questions, c’est un des traits du caractère de Boursault. Comme il s’en prenait dans sa jeunesse à Molière, à Boileau, à Racine, comme il devenait de but en blanc l’ami et le protégé des deux Corneille, comme il adressait un discours à Louis XIV sans le moindre embarras, il traitait les questions du sacerdoce et de la chaire avec la même liberté naïve. Je retrouve cette ingénuité dans telle lettre à Fléchier où il le consulte sur une question de langue française, dans telle autre à Bossuet où il signale une faute de style échappée à l’illustre auteur du Discours sur l’histoire universelle. Qu’a répondu Bossuet? je l’ignore; ce qui est certain, c’est que la phrase dénoncée comme incorrecte n’a pas été rectifiée suivant les indications du censeur. Bossuet a maintenu son dire, et il a bien fait.