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pas encore complètement acquise au mouvement antireligieux et athée prêché par les agitateurs démocrates. C’étaient tout simplement les idées de Marx et de Lassalle, mais revêtues d’un léger vernis catholique et rattachées, par quelques citations, aux enseignemens des pères de l’église. En attaquant le libéralisme, l’économie politique et l’industrie, les ultramontains, déguisés en socialistes ou sincèrement devenus tels, obtinrent l’adhésion de deux classes très nombreuses que les démocrates socialistes n’avaient pu atteindre. D’abord les propriétaires ruraux et surtout la petite noblesse des campagnes, les hobereaux, qui ne participaient nullement à l’enrichissement des grandes villes et qui voyaient avec une jalousie haineuse l’influence et l’argent passer aux mains des grands fabricans, des banquiers, des actionnaires et des fondateurs de sociétés anonymes, de ces spéculateurs de bourse qui dans l’Allemagne « industrialisée » tenaient désormais le haut du pavé. Ce parti des « ruraux » goûtait fort la dénonciation des abus du capital, et il s’imbibait ainsi d’un socialisme réactionnaire et féodal. Contre l’industrialisme, Marx, suivant eux, n’avait rien écrit de trop violent. C’était le parti des agrariens. Bien entendu ils ne rêvaient nullement une loi agraire, si ce n’est appliquée aux capitaux de la bourse et des juifs qu’ils exécraient particulièrement. La seconde couche d’adhérens que rencontrèrent les christlich-socialen ultramontains, ce furent les paysans catholiques. Les chefs du Kulturkampf, qui persécutaient leurs prêtres et leurs croyances, étaient des libéraux et des économistes. On leur plaisait donc en attaquant le libéralisme et l’économie politique. Ils trouvaient les impôts et le service militaire écrasans, et M. le chanoine Moufang inscrivait dans son programme qu’il fallait les réduire et de beaucoup. Quant à « la loi d’airain » et à Ricardo, je suppose qu’ils en croyaient leur évêque sur parole.

Nous allons montrer maintenant que les paroles de MM. Moufang et von Ketteler ne sont pas tombées sur un rocher stérile, mais que, comme la semence de sénevé jetée en bonne terre, elles ont produit en peu de temps un arbre immense, dont les rameaux sans nombre se chargent des fruits les plus divers. Nous suivrons principalement les indications recueillies avec une extrême diligence dans le livre si rempli de faits de M. Rudolph Meyer, der Emancipationskampf des Vierten Standes (la Lutte pour l’émancipation du quatrième état). La première réunion des associations socialistes ultramontaines, ou, comme elles s’intitulaient elles-mêmes, « chrétiennes-sociales » (christlich-sociale) eut lieu à Crefeld, en juin 1868. Trois sociétés seulement se trouvaient représentées. Elles adoptèrent comme organe le journal rédigé avec beaucoup d’habileté par le recteur Schings, d’Aix-la-Chapelle, die Christlich-socialen