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ou à s’ériger en législateurs, à émettre des vœux sur l’amnistie, sur ce qu’on doit faire des diamans de la couronne ; si l’on veut prétendre qu’il y a même dans les chambres des revenans du socialisme, des radicaux exubérans, des esprits extrêmes, toujours disposés à proposer quelque réforme chimérique, quelque mesure contre l’église, la suppression du budget des cultes, l’élection de la magistrature ou l’impôt sur le revenu ; si c’est ce qu’on veut dire, oui sans doute, tout cela existe. Il y a des radicaux qui, si on les laissait faire, auraient bientôt conduit la république à la ruine. Il y a des propositions excentriques qui peuvent se produire, qui se produiront vraisemblablement ; mais en définitive, le jour où ces propositions se présenteraient devant le parlement, il est douteux que, même dans la chambre des députés telle qu’elle est, elles fussent acceptées, et il est plus certain encore que le sénat, même après le renouvellement du 5 janvier, les arrêterait au passage. Ce n’est donc pas la violence qui est à craindre. Les entreprises ouvertes du radicalisme, les campagnes socialistes seraient combattues si elles se produisaient ; mais ce qui serait à craindre, ce qui deviendrait un danger, ce serait si les républicains, après avoir senti le prix de la sagesse et de la modération tant qu’ils ont eu la république à conquérir, se laissaient aller en pleine victoire à ces infatuations, à ces passions exclusives qui ont été si souvent un piège pour eux. Le vrai péril serait si les républicains se mettaient encore une fois à laisser planer des doutes sur leurs intentions, s’ils hésitaient à se défendre des excitations aventureuses, des tentations chimériques, si, au lieu de se créer une politique précise et de se grouper autour d’un gouvernement sensé, ils se plaisaient à remettre sans cesse tout en question pour des fantaisies ou des ressentimens, peut-être aussi par une vieille faiblesse de révolutionnaires mal corrigés.

De toutes les raisons faites pour conseiller la prudence, la modération entre les partis, pour détourner des vaines querelles et des divisions intestines, la première, la plus impérieuse est et sera longtemps encore la raison extérieure ; c’est cette situation européenne si étrangement confuse, qui est née des derniers événemens et qui est loin d’être définitive, que la France n’a point créée et où elle ne laisse pas cependant d’avoir, comme les autres puissances, des intérêts traditionnels engagés.

Un jour, pendant la guerre de 1870, M. de Bismarck, dont on vient de reproduire les propos familiers, disait : « En France, il n’y a ni situation, ni institution durable. Les dynasties et les gouvernemens se succèdent les uns aux autres, et naturellement l’un n’est pas tenu de faire ce que l’autre a promis. Dans cet état de choses, ce serait folie à nous de ne pas exploiter jusqu’au bout nos succès. » Et assurément le chancelier d’Allemagne a exploité jusqu’au bout ses succès ! Le mot n’est pas moins instructif et bon à méditer pour ceux qui ne