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désavouent pas l’espérance de voir notre pays reprendre par degrés un rôle conforme à ses traditions. Pour le moment, ce rôle consiste surtout dans la réserve, dans une coopération mesurée, désintéressée à tout ce qui peut affermir ou rétablir la sécurité universelle, et le Livre jaune, que le gouvernement vient de communiquer aux chambres, est rhistoire de ce que notre diplomatie a fait pour aider dans ces limites à la pacification de l’Orient. La politique que M. le ministre des affaires étrangères avait exposée devant le parlement quelques jours avant d’aller au congrès de Berlin, M. Waddington l’a suivie jusqu’au bout, simplement, loyalement. L’esprit de parti, qui ne profite guère des leçons de M. de Bismarck, n’a pas manqué sans doute de chercher aussitôt dans le Livre jaune des armes nouvelles contre le gouvernement, contre notre diplomatie, contre la république représentée à cette assemblée de Berlin. L’esprit de parti est ingénieux. Naturellement, si la France en est encore à payer la rançon de ses malheurs et n’a pas toute sa liberté d’action, c’est la faute de la république ! Si M. le ministre des affaires étrangères n’a réclamé aucun avantage particulier et est revenu de Berlin les mains vides, il a évidemment joué un rôle de dupe, il a trahi tous les intérêts de la France ! S’il eût par hasard accepté son lot dans la distribution, s’il était revenu avec sa petite annexion, avec son petit droit d’occupation, c’eût été bien pire encore, il aurait enchaîné et compromis la politique française ! M. le ministre des affaires étrangères avait peu de chances d’échapper à ce genre de critiques futiles ou contradictoires, et les accusations sont étranges, on en conviendra, lorsqu’elles viennent des partisans de l’empire, des derniers séides d’un régime qui est justement l’auteur de ces catastrophes dont la grandeur nationale souffre et souffrira longtemps encore. L’action de la France, telle qu’elle apparaît dans ces pages du Livre jaune, a été en réalité ce qu’elle pouvait, ce qu’elle devait être dans les circonstances présentes ; elle a été aussi modeste qu’honorable, et elle a été habilement, heureusement précisée dans une dépêche de M. le président du conseil approuvant au nom du gouvernement l’attitude, le langage de M. Waddington dans le congrès de Berlin. La France n’a fait de réserves que sur quelques points qui la touchaient particulièrement, l’Egypte, la Syrie, ses intérêts de protectorat religieux dans le Liban. Pour tout le reste, elle s’est présentée comme une nation libre, dégagée de toute ambition personnelle et de toute solidarité onéreuse. S’abstenir complètement c’eût été abdiquer le rôle d’une grande puissance, empêcher peut-être le congrès ou prendre une attitude d’hostilité isolée ; entrer trop avant dans toutes les combinaisons qui ont prévalu ou même au besoin accepter une compensation, c’eût été se lier dangereusement. La France est restée dans la mesure si bien définie par M. Dufaure. Elle a été une coopératrice loyale et utile de l’œuvre de Berlin, elle n’a pas été une complice ; elle s’est