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Devant eux, à un demi-mille de distance, se dressait un vaste palais en ruines, construction bizarre à laquelle un monticule énorme servait de base. Sur le fond bleu pâle du ciel se découpaient en vives arêtes des murailles massives surchargées d’ornemens et percées d’ouvertures béantes qui tachaient de trous noirs la monumentale façade. Sur le plan incliné du monticule, on distinguait les débris d’un escalier gigantesque. Ses marches, qui régnaient autrefois sur toute la largeur, s’étaient çà et là disjointes sous l’effort d’une végétation puissante. Des semences emportées par le vent avaient germé entre les interstices des pierres, projetant des arbres aux formes étranges et contournées, déplaçant lentement les lourdes assises, descellant les pierres polies et usées par les pas de générations disparues. Les toitures effondrées étaient remplacées par des lianes parasites aux fleurs multicolores. Laissant leurs chevaux à la garde de leur escorte, les trois voyageurs gravirent les cent vingt marches qui aboutissaient au terre-plein sur lequel s’élevait dans toute sa majesté déchue le palais en ruines. La façade présentait jusqu’à une hauteur de vingt mètres une surface blanche et lisse. Au-dessus, la pierre découpée, travaillée, ciselée, n’offrait plus qu’une masse solide de sculptures étranges et d’hiéroglyphes inconnus. Les angles, les linteaux des portes étaient couverts d’ornemens en relief, représentant des têtes bizarres, grimaçantes, avec de grands yeux creux. D’énormes serpens y déroulaient leurs anneaux minutieusement travaillés, des tortues monstrueuses étalaient leurs carapaces sculptées par des mains habiles, des oiseaux semblables à des ibis, et des sphinx au regard interrogateur, séparés par des figures humaines dont la coiffure rappelait celle des Incas, présentaient aux regards un fouillis de lignes, de contours enchevêtrés et mêlés en un ensemble confus qui parlait une langue incompréhensible.

Le sommet du plateau dominait la forêt. Aux pieds des voyageurs s’étendait un océan de verdure semé d’autres monticules sur lesquels surgissaient d’autres ruines. Une ville entière, ville de palais, dormait là et dressait ses murailles massives qu’assiégeait une végétation exubérante. Sur les flancs des tertres ravinés par les pluies, les arbres s’échelonnaient comme des troupes qui montent à l’assaut et, dans les salles désertes, les toits brisés laissaient passer des troncs élancés qui agitaient leurs verts panaches comme un drapeau sur une place conquise.

Les deux jeunes gens contemplaient avec un indicible étonnement ces ruines gigantesques, qui arrachaient au flegmatique George Willis un cri d’admiration. Fernand semblait avoir tout oublié, même dona Mercedes. Quant au curé, bien que ce ne fût pas sa première visite à Uxmal, l’impression qu’il éprouvait n’était évidemment