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rien moins que satisfaisante. Lui si gai, si jovial d’ordinaire, il paraissait contraint et mal à l’aise. On eût dit qu’une sorte de frayeur le rendait muet et qu’il voyait avec peine la curiosité enthousiaste de ses deux compagnons . Fernand fut le premier à s’arracher à sa contemplation :

— Les deux merveilles dont vous nous aviez parlé ont répondu et au-delà à notre attente, mon cher curé, et les ruines d’Uxmal sont les plus étonnantes que j’aie vues, aussi vrai que dona Mercedes est la plus belle personne des deux Amériques.

Il achevait à peine qu’il aperçut près de lui celle dont il parlait. Avertie de leur arrivée, elle était venue à leur rencontre. Le bruit de ses pas, amorti par l’épais gazon, ne l’avait pas trahie, et depuis quelques instans elle les observait en silence. L’exclamation du jeune homme la fit rougir, mais ce fut lui qui baissa les yeux devant son regard. Trop embarrassé pour parler, il attendit le tour qu’il plairait à la jeune fille de donner à la conversation, ne sachant s’il devait s’excuser ou se taire. Mercedes ne lui venait guère en aide. Ses traits, redevenus impassibles, ne trahissaient ni dépit ni satisfaction, mais une sorte de gravité qui imposait le respect. Elle tendit la main au curé, salua Fernand, et se dirigea vers George Willis, qui, le crayon à la main et assis à distance sur un chapiteau renversé, dessinait une tête colossale sculptée au-dessus d’une des portes d’entrée.

— Dona Mercedes, je sollicite toute votre indulgence ; je n’ai pu résister à la tentation de copier ce fragment. Voyez comme il est admirablement éclairé en ce moment. Ce jeu d’ombre et de lumière est merveilleux. Ces grands yeux, ce cou puissant, ce torse énorme, forment un ensemble si original au milieu de ce cadre singulier. Comme je vous comprends d’être venue habiter ici !

Mercédès sourit de cette admiration sincère.

— Vous n’êtes pas au bout des surprises que vous réservent les ruines d’Uxmal. Il y a près d’ici, à un mille environ, un autre palais que les Indiens désignent sous le nom de Palais du Nain, et dont l’ornementation est encore bien plus curieuse que celle-ci.

— D’où lui vient ce nom bizarre ?

— D’une statue de nain difforme qui subsiste encore dans une cour intérieure. Le temps et les Indiens l’ont respectée ; ces derniers surtout, à qui elle inspire un singulier effroi. Les légendes abondent ici, mais ce ne sont que des légendes ; le lien qui les rattachait à l’histoire vraie est brisé depuis des siècles.

— Est-il impossible de le renouer ?

— Je le crois ; mais votre dessin est terminé, et le déjeuner nous attend.

George Willis s’empressa d’obéir à l’invitation de la jeune fille.