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se croient blessés dans leur orgueil, menacés dans leur ambition, bondissent de fureur ; ils « saillent en pieds, » s’interpellent, se provoquent, en tirant à moitié leur épée du fourreau ; le parlement retentit d’éclats de voix et d’outrageux propos. Si c’est dans les festins royaux ou seigneuriaux que la querelle s’engage, aux longues tables dressées dans la salle pavée et voûtée « où flairent soüef le lys et la rose, » nos véhémens discoureurs, a la face rougie de mautalent, » se lancent à la tête les couteaux d’acier, les quartiers de chevreuil et les cygnes « empoivrés » dont la table est garnie jusqu’au moment où le roi résume les débats, quand il le peut, et calme « la noise et le butin. » Parfois il arrive que la minorité, battue et mécontente, fausse compagnie à la majorité et retourne en son pays ou poursuive l’entreprise par une autre voie : la croisade de 1202, qui fut décidée par un parlement tenu dans le verger de l’abbaye Sainte-Marie de Soissons, nous offre un exemple de ces dissentimens graves aboutissant à une séparation. Au début de la chanson du « Loherain » Garin, nous voyons s’ouvrir à Lyon un de ces « conciles » de seigneurs et d’évêques qui avaient remplacé les conventus provinciales de l’époque gallo-romaine et qui ont formé, on l’a dit plus haut, les états provinciaux des XIIIe et XIVe siècles. Plus de trois mille clercs, évêques ou abbés, nous raconte le poète, et un pareil nombre de barons se sont réunis dans la cité « assise sur le Rosne ; » il s’agit de savoir si le clergé, aidant la noblesse à s’armer et s’équiper, soutiendra de ses deniers une croisade contre les Sarrasins qui ravagent le pays. La discussion s’irrite et se prolonge ; le clergé défend ses immunités, il n’offre que ses prières : Nous prions Dieu pour tretous vos amis ; enfin le légat du pape intervient et contraint l’église à céder les dîmes pour sept ans et demi.

Nous arrivons à des temps moins poétiques et d’un sérieux tout moderne. Vaincue et dépouillée au Xe siècle, la royauté, par une conduite habile et ferme, a reconquis la France sur les hauts barons et reconstitué l’unité nationale. En 1302, elle convoque les états-généraux ; mais après cette longue histoire des traditions libérales du passé, qui ne voit que l’acte hardi de Philippe le Bel n’introduisait en France aucune nouveauté, et qu’il remettait simplement en vigueur, sous une forme nouvelle, des usages aussi anciens que notre pays ? Dans ce rajeunissement des assemblées plénières de l’époque carlovingienne, tous les droits créés par le temps étaient représentés ; tous les modes de réunion publique usités jusque-là venaient se résumer et se compléter ; la royauté y reprenait la situation prépondérante qu’elle avait tenue dans les anciennes assemblées, et les états du XIVe siècle, comme ceux du VIIIe et du IXe, étaient