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réduits à la double fonction de donner leur avis et d’apporter leur argent. L’apparition des états provinciaux sur une partie du territoire, l’extension donnée aux franchises séculaires des communes signalaient, en outre, comme un réveil de l’indépendance locale dont la Gaule, surtout la Gaule du midi, avait joui sous la domination romaine, et qui, partout affaiblie, contrariée, par une succession de despotismes variés, n’avait entièrement disparu ni péri nulle part.

Le XIVe siècle voyait donc se produire une résurrection, un épanouissement de tous ces germes de liberté passagèrement étouffés sous les ruines accumulées ; il cédait, dans ses apparentes audaces, dans ses prétendues innovations, à l’impulsion secrète, irrésistible d’un ensemble de traditions et de coutumes dont nous avons exposé les lointaines origines et les fortunes diverses : il s’inspirait, à son insu, de cette puissante continuité du souffle libéral qui, à travers tant d’épreuves subies, n’avait jamais cessé d’animer notre pays, de faire vibrer son cœur et d’éclater en sentimens nobles et fiers par l’énergie de la parole publique. Quelle influence les états-généraux exerceront-ils, à leur tour, sur l’éloquence politique française, sur l’éducation virile du génie de notre race ? Quelle action efficace, quel rôle utile ou brillant la réunion solennelle des trois ordres va-t-elle réserver et permettre à la parole ? Ces états, qui remontent si haut et si loin dans le passé sous leur forme primitive, ont duré, comme institution, jusqu’à l’établissement de nos libertés modernes : la dernière page de leur histoire est la préface de 1789 ; leur souvenir reste gravé et conservé, en traits ineffaçables, à la base même de nos gouvernemens démocratiques ; dans cet espace de plusieurs siècles, quels orateurs ont-ils suscités ? quels monumens témoignent des talens qu’ils ont mis en lumière, de la science politique qui s’y est révélée et développée, du courage civil et des fermes convictions qui ont illustré leurs débats ? S’ils ont bien mérité de notre pays par leur résistance aux égaremens, aux corruptions du pouvoir absolu, ont-ils pareillement honoré les lettres françaises par quelques hautes inspirations, dignes d’échapper à l’oubli ? C’est ce que nous éclaircirons dans une seconde et prochaine étude.


Charles Aubertin.