Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 30.djvu/704

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cependant ne sont pas responsables des affreux parens qu’ils peuvent avoir. » La seule créance que M. Busch puisse obtenir de nous dans certains endroits de son récit est ce que Voltaire appelait une incrédulité soumise, un anéantissement de la raison, un silence d’adoration devant des mystères qui nous dépassent.

Nous n’aurions garde de relever dans son journal toutes les aménités obotrites ou vandales qu’il y a rassemblées à l’adresse de la France et des Français. Que nous importent ces vieilles injures, qui sentent le rance ? Ou sont les neiges d’antan ? Il nous plaît toutefois de savoir que M. de Bismarck a comparé la France à Apollon. Il est vrai que ce dieu ne lui revient point ; il ne saurait lui pardonner d’avoir écorché Marsyas par vanité et par envie. « Voilà, disait-il, le vrai type du Français ; ce peuple ne peut souffrir que quelqu’un joue de la flûte mieux que lui. » Le trait est aimable, presque tendre. M. de Bismarck le prenait sur un autre ton, lorsqu’il définissait la France « une nation composée de zéros, un vrai troupeau formé de trente millions de Cafres obéissans. » La victoire est une ensorceleuse. On se croyait de bonne foi sur les bords du Zambèze, en pleine Cafrerie, en plein Monomotapa, ou dans le pays des Betjouanas, arrosé par la Seine et par la Loire ; on n’apercevait autour de soi que des Koussas, des Tamboukis, des Mamboukis et des Zoulous, peuples pasteurs, pillards, fétichistes et peut-être polygames. On se souvenait à la vérité d’un certain Richelieu, qui avait su en fait de diplomatie tout ce que peut savoir un Koussa, et le docteur Busch s’indigne que la fatuité française ait fait à « son chef » l’affront de le surnommer le Richelieu prussien. On se souvenait aussi d’un Condé et d’un Turenne qui avaient déployé dans la guerre les qualités qu’on peut attendre d’un Tambouki. On avait entendu parler d’un certain Mirabeau ; mais « l’éloquence est une peste, un fléau public, contre lequel il convient de prendre des mesures sanitaires. » Pourquoi le vainqueur eût-il compté avec les Zoulous ? Ils ne représentent rien dans le monde, ils n’ont point de passé ; le moyen de croire à leur avenir ?

Il faut lire le docteur Busch pour connaître tous les rêves qui ont traversé l’imagination de M. de Bismarck depuis la bataille de Worth jusqu’au jour où Paris affamé capitula. Le 20 décembre 1870, il disait : « Je crois que désormais la France, déjà divisée en partis, se brisera en morceaux. Chaque province a ses opinions ; la Bretagne est légitimiste, le sud est partisan de la république rouge, ailleurs dominent les républicains modérés, l’armée régulière appartient encore à l’empereur, du moins la majorité des officiers. Il peut arriver que chaque partie du territoire français se donne un gouvernement de son choix : l’une adoptera la république, une autre les Bourbons, une autre les d’Orléans, une autre les Napoléon. Tel fut le sort de la Palestine sous ses tétrarques. » Une semaine auparavant, parlant des dévastations causées par la guerre, il se flattait que le vaincu ne se relèverait jamais de sa ruine, et il