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s’écriait-il ; moi qui les ai si souvent défendus dans le parlement ! Pour les punir, après la paix, je me ferai parlementaire. « Il pensa même à donner sa démission. « Le 13 décembre à déjeuner, on discuta sérieusement la possibilité d’une retraite du chancelier… Il me paraissait inconcevable qu’on pût laisser partir le chef, même s’il demandait son renvoi. On estimait pourtant que c’était possible. Je déclarai qu’avant quatre semaines on le rappellerait. Lothar Bucher affirma qu’une fois parti, il ne reviendrait pas, qu’il se sentait heureux à Varzin, loin des affaires et des ennuis de toute espèce, que son séjour favori était les champs et les bois. — Croyez-moi, avait dit une fois la comtesse de Bismarck, une carotte sauvage l’intéresse plus que toute votre politique. » M. de Bismarck n’a pas donné sa démission, et il n’est pas devenu parlementaire. M. de Moltke peut lui déplaire quelquefois, la figure de M. Lasker lui déplaît toujours.

Il avait encore un autre grief contre les généraux. Il leur reprochait de prodiguer le sang de leurs soldats et de trop ménager celui de l’ennemi. Il les accusait d’avoir trop d’indulgence pour les francs-tireurs, pour les paysans mal intentionnés ; il dénonçait l’excessive clémence des tribunaux militaires, il se plaignait qu’on faisait trop de prisonniers. « Un peu de penderie, s’écriait-il, est le meilleur moyen de calmer l’ardeur patriotique du paysan, surtout quand on y joint comme accompagnement quelques grenades et quelques maisons brûlées. » Brûler et pendre ! ces deux mots reviennent au milieu des propos de table et des dissertations culinaires compilées par M. Busch comme un refrain, qui manque absolument de gaîté. Ajoutez-y de fréquens quolibets sur les souffrances des Parisiens assiégés. On racontait un jour qu’ils avaient mangé tous les animaux mangeables du Jardin des Plantes et que la bosse du chameau est un mets délicat, sur quoi M. de Bismarck insinua qu’à ce compte les bossus de Paris… Un éclat de rire général l’interrompit. « Un enfant, une jeune fille toute fraîche, dit-il un instant après, passe encore ; mais un gaillard sur le retour et un peu coriace doit être à mon avis absolument immangeable. » Les pasquinades de carabin en goguette abondent dans le journal de M. Busch, et il nous en coûterait de les tenir pour authentiques ; à peine tenons-nous pour vraisemblables les plaisanteries de garçon boucher qu’il attribue au comte de Bismarck-Bohlen, qui n’est plus là pour les désavouer. On a accusé Plutarque de mentir quelquefois ; un homme d’esprit disait qu’il n’y a que les sots qui ne soient jamais tentés de mentir. M. Busch ne ment jamais, mais nous voulons croire que ses souvenirs l’ont souvent trompé. Après boire, on entend quelquefois de travers. Pouvons-nous admettre que, le prince Albert ayant demandé au chancelier des nouvelles de Mme de Bismarck, il répondit : « Elle se porte à merveille, elle n’est incommodée que par sa haine furibonde contre les Gaulois, qu’elle voudrait tous voir fusillés et transpercés en gros et en détail, y compris les petits enfans, qui