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possibilité, le sujet indifférent et passif des formes contraires de l’être, incapable de mouvement par lui-même. La philosophie naturelle, au XVIIe siècle, n’a guère mieux, compris l’essence de la matière ; Descartes, Malebranche, Spinosa, et presque tous les philosophes de cette école, en faussent la notion, en la réduisant à l’étendue. Ce n’est même pas Newton qui a rectifié l’idée de la matière. En créant la théorie de la gravitation universelle, il n’a nullement entendu établir que le mouvement est inhérent à la substance matière. Parmi les physiciens et les philosophes de ce temps, nul, sauf Leibniz, ne croyait à l’activité propre de la matière. Il a fallu les enseignemens de la chimie, vers la fin du XVIIIe siècle, pour en révéler les propriétés réelles, constatées par l’expérience. C’est depuis ce moment que l’on a commencé à comprendre que la force est la propriété essentielle de la matière.

De nos jours, l’idée de la matière, encore simplifiée par l’élimination de ses propriétés purement mathématiques, telles que l’étendue et la figure, a été ramenée à la pure notion de force ; l’atome matériel a été considéré comme un centre de forces. Nous permettra-t-on d’ajouter que la matière éthérée, dont l’hypothèse s’impose de plus en plus à la science, aide singulièrement à faire comprendre cette conception, en offrant elle-même le type de la matière réduite à l’unique propriété du mouvement ? La science proprement dite en est restée là ; elle ne peut aller plus loin avec ses moyens d’observation. Des mouvemens de composition et de décomposition soumis aux lois de la mécanique, de la physique et de la chimie : voilà tout ce qu’elle peut saisir et comprendre dans les opérations de la nature. Pourquoi ce jeu des forces élémentaires a-t-il abouti à la formation des masses solaires, comme à la constitution des minéraux ? La mécanique céleste et la minéralogie ont expliqué le comment, sans se poser d’autres problèmes. Ni Newton ni Laplace n’ont pensé avoir dit le dernier mot de la philosophie naturelle, quand ils ont expliqué le système du monde.

Où chercher le pourquoi de toutes ces merveilles, sinon dans le monde où ce pourquoi se révèle clairement à l’œil de la conscience ? C’est dans ce monde intérieur que la métaphysique le trouve, non dans cette stérile spéculation qui prétend construire a priori, par une logique subtile, le système des choses. On sait comment le génie lui-même a toujours échoué dans cette œuvre impossible. D’ailleurs la philosophie de notre temps n’a plus de ces ailes qui emportent la pensée dans la région des nuages. La lumière qui peut éclairer le problème de l’origine des êtres est au fond de notre être propre. Le problème du pourquoi, bien entendu, car le problème du comment appartient tout entier à la science seule. Voilà en quel sens il est vrai de dire, avec Socrate et tous les philosophes