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de son école, depuis Platon jusqu’à Maine de Biran, que, pour comprendre la nature, il faut se connaître soi-même. Comprendre la nature, c’est-à-dire saisir la raison, la cause réelle des opérations dont la science a déterminé les lois et les conditions. On peut donc l’affirmer avec les métaphysiciens de tous les temps, loin que la matière explique l’esprit, selon la philosophie mécanique, c’est l’esprit qui explique la matière. Le principe de toute véritable explication pour l’intelligence, c’est l’idée de finalité, que le physicien ne peut découvrir dans la matière brute, que le naturaliste et le physiologiste ne retrouvent dans la nature vivante que parce qu’ils l’ont trouvée d’abord dans le monde de l’esprit. En voyant comment tout s’y passe, comment la nature humaine agit, comment elle poursuit un but dans les œuvres de son activité volontaire, le physiologiste pénètre le mystère de la vie, reconnaît la vraie cause de ses mouvemens les plus intimes et les plus obscurs, cachée sous l’appareil des conditions physico-chimiques. Et le philosophe, généralisant cette loi de la vie, l’étend aux simples mouvemens de la matière. Tous ces principes élémentaires, qui sont au fond de l’être organique ou inorganique, et qui en forment comme le tissu, sont des unités qui tendent à leur fin, sous l’action des lois mécaniques, physiques et chimiques. Leibniz, qui a si bien compris que la finalité n’est pas moins inhérente que l’activité à ces unités ou monades, a pu exagérer sa pensée, ou plutôt son langage, en parlant des perceptions obscures de la monade. Sa conception n’en est pas moins la plus féconde des idées métaphysiques qui aient été émises sur la philosophie de la nature ; elle seule éclaire la théorie de l’évolution.

Saura-t-on jamais, comme s’en flattent certains partisans de cette théorie, comment les choses se sont passées à l’origine des grandes genèses qui ont changé la face de notre terre ? Il est sage d’en douter, en attendant de nouvelles et plus complètes révélations de la géologie et de la paléontologie. Quoi qu’il arrive, la pensée philosophique pourra toujours se reposer dans le principe de la finalité universelle. Ce principe est au fond de toutes les explications vraiment intelligibles qui touchent à l’origine des choses ; il en fait la lumière et la vérité. On peut, avec Aristote, suspendre la nature entière au bien par l’attrait que l’objet désirable exerce sur l’être qui désire, en séparant absolument la nature de son suprême moteur ; on peut, avec Leibniz, placer la monade divine en dehors et au-dessus de toutes les monades créées, en faisant de cette création un rayonnement (fulguratio) de la monade suprême ; on peut, avec Schelling, Hegel, Lessing et Goethe, identifier la cause créatrice avec la nature entière, l’y retrouver toujours et partout, dans ses œuvres les plus éclatantes, comme dans ses œuvres les plus obscures, sous les dénominations de l’absolu, de l’idée, de l’être universel ;