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les projets mis en avant, le plus simple serait d’augmenter le nombre des membres et des chambres de la cour de cassation.

Du sénat dirigeant aux tribunaux d’arrondissement, tous les juges sont nommés par le souverain. Pour la justice ordinaire, civile ou criminelle, le réformateur a renoncé au système électif que beaucoup de Russes voudraient voir appliqué à toute la magistrature. En rejetant l’élection, les rédacteurs des lois judiciaires ont cherché un autre moyen d’assurer l’indépendance du juge en même temps que de soulager le gouvernement de la lourde responsabilité du choix des magistrats dans un empire aussi vaste. Dans ce double dessein, ils ont décidé de recourir à la magistrature elle-même, et ont concédé à chaque tribunal le droit de présenter des candidats aux places vacantes dans son sein[1]. Concurremment avec l’élection des juges, la Russie a donc tenté une autre expérience presque aussi curieuse, mais par malheur conduite avec moins de sincérité ou moins de méthode. Strictement appliqué, un tel droit de présentation aux sièges vacans pouvait être un excellent moyen de maintenir la séparation des pouvoirs, il eût même pu faire de la magistrature ce qu’elle n’est réellement qu’en bien peu d’états, un véritable pouvoir autonome et indépendant. Ce n’est pas là ce que nous voyons en Russie ; pour avoir d’aussi grands effets, le droit de présentation aux tribunaux y est soumis à trop de restrictions par la loi, y est trop peu respecté dans la pratique.

La plus haute cour de justice, celle où un pareil privilège serait le mieux à sa place, le sénat, en est privé. Les tribunaux d’arrondissement et les cours d’appel sont seuls à en jouir, et dans ces tribunaux mêmes le droit de présentation ne s’étend point aux présidens et aux vice-présidens, mais seulement aux simples juges. Cette restriction n’a point paru suffisante, la magistrature assise n’est point libre d’user à son gré du droit de désignation dont elle est investie. Un tribunal ne peut s’arrêter à un choix qu’après que ce choix a été agréé par le procureur, c’est-à-dire par l’agent direct et docile du ministre. Une telle condition semble réduire le droit de présentation à une simple formalité ; mais il y a plus, et, cette désignation ainsi faite avec l’intervention du parquet, le ministre est toujours maître de n’en tenir aucun compte sans en donner

  1. Les membres des nouveaux tribunaux ont d’abord été tous nommés sur la proposition du ministre ; le droit de présentation ne s’exerce qu’au fur et a mesure des vacances.