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période de pure curiosité sera épuisée pour la France et pour l’Europe, il est à désirer qu’on apprenne à revenir à l’Opéra pour autre chose que pour la salle. Il est donc prudent de prévoir et de préparer dès maintenant un mode d’exploitation du monument qui soit plus en rapport avec sa vraie destination : celle d’y exécuter de bonne musique, Nous ne nous faisons pas illusion, ce n’est point là l’affaire d’un jour. Un répertoire comme celui que nous rêvons ne s’improvise pas, mais il est facile, après tout, d’en dresser le programme. Il y a même, pour cela, chez nous, cette simplification que le théâtre de l’Opéra-Comique, recevant aussi une subvention assez respectable de l’état, peut être également astreint à l’obligation d’avoir un répertoire, obligation qui ne serait pour lui ni très lourde, ni tout à fait en dehors de ses habitudes. La liste des chefs-d’œuvre lyriques dont la représentation incomberait à l’Opéra étant ainsi allégée d’autant, on devrait graduellement marcher vers le but qui est pleinement atteint dans les principaux théâtres de l’Allemagne : parcourir dans l’espace d’une année le cercle à peu près complet de ces chefs-d’œuvre. Il appartiendrait à un ministre vraiment soucieux des grands intérêts qui lui sont confiés de se proposer une telle rénovation.

On se plaint à juste titre du développement qu’a pris chez nous l’opérette, de sa tendance à remplacer l’opéra-comique, cette création toute française, et l’on a plus de raison encore de se plaindre du flot toujours montant des cafés-concerts, des grossières trivialités ou des inepties graveleuses qui s’y débitent. Il serait difficile d’imaginer en effet les trésors de bêtise et de cynisme qui, au nom de la gaîté française, se dépensent dans des établissemens dont le répertoire spécial nous paraît relever de la police des mœurs plus que de l’art musical. Parfois ces gaillardises épicées, après avoir fait le tour de la France, vont s’égarer jusqu’au fond de l’Allemagne, aggravées encore par le ton et les gestes de leurs interprètes et comme soulignées par l’air impudent et malin qu’ils prennent là-bas pour lancer leurs polissonneries. C’est pour la vertu sermonneuse de nos voisins une facile occasion de triompher de la dépravation de notre race et, après s’être régalés de ces turpitudes, de s’indigner au nom du goût et de la moralité également outragés.

On a montré ici même[1] les tristes effets qu’amène chez nous une telle licence. Pernicieuse pour l’art, elle n’a rien à voir avec

  1. La Liberté des théâtres et des cafés-concerts, par M. Albert Delpit, dans la Revue du 1er février 1878. Il y a aussi et en grand nombre des cafés-concerts en Allemagne, mais généralement leur caractère est tout autre que chez nous. On y peut entendre, très convenablement exécutés, des fragmens de symphonie et des ouvertures de maîtres classiques qui, sur les programmes, alternent avec des morceaux d’un genre moins sérieux, des valses de Strauss, un « pot-pourri sur Mademoiselle Angot, » etc.