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et qui se fait toujours, savent combien il importe de ne pas laisser se perdre un seul des anneaux de la chaîne qui va de la tradition acceptée sans réserve à l’interprétation complètement libre dont elle est l’objet à l’heure présente. C’est sa continuité qui fait sa force. Ce livre, qui parut en 1836, marqua une époque et une étape. L’épuisement de la première édition rendait, depuis longtemps nécessaire une réimpression nouvelle, de même qu’il faudra bien l’un de ces jours rééditer l’Histoire critique de Richard Simon, le fondateur français de la critique sacrée.

La nouvelle édition du livre de Neander traduit par feu le pasteur Fontanès a été surveillée avec un soin pieux par son fils, M. Ernest Fontanès, dont les lecteurs de la Revue ont plus d’une fois pu apprécier le savoir et le talent. Son père fut un des hommes les plus éminens du protestantisme français sous la restauration et pendant le règne de Louis-Philippe. Il resta pourtant peu connu en dehors du cercle particulier où s’écoula sa vie active. On ne s’occupait guère en ce temps-là des affaires protestantes. M. F. Fontanès était un de ces hommes modestes qui attendent que la notoriété vienne les chercher et ne font jamais un pas au-devant d’elle. Sa vie fut absorbée presque entièrement par les intérêts et les travaux ecclésiastiques auxquels il se consacra avec un entier dévoûment. C’est par là, et aussi par une sérieuse érudition que rehaussait une grande dignité de caractère, qu’il exerça longtemps au sein des populations protestantes du Midi une influence considérable qui lui a survécu.

Né à Nîmes le 15 mai 1797, Ferdinand Fontanès, après avoir fait de bonnes études au lycée de sa ville natale, se rendit très jeune encore à Genève pour y étudier la théologie. Un accident (il faillit être asphyxié en travaillant l’hiver près d’un brasero) mit sa vie en danger et affaiblit pour toujours sa constitution. Il resta très petit, très fluet ; mais sur ce corps débile il y avait une belle tête sculpturale, au teint pâle, un vaste front, de superbes yeux noirs qui s’attachaient sur vous avec une expression de grande bienveillance mélangée d’une certaine mélancolie. Un regret profond, qu’il concentrait en lui-même, joint au sentiment d’une débilité physique contre laquelle il avait constamment à lutter, explique cette disposition d’esprit. Il avait beaucoup désiré le professorat et il fut en 1824 à la veille d’être appelé à une chaire de théologie à Montauban. Comme cela n’est arrivé que trop souvent, le libéralisme de ses opinions religieuses lui ferma les portes de la faculté. Il en fut de même plus tard, en 1834, malgré une promesse formelle, peut-être oubliée, de M. Guizot. La vie de professeur aurait mieux convenu à ses goûts et à sa constitution que les fatigues du pastorat et les luttes souvent pénibles où il fut engagé. Il y tint tête cependant avec une rare énergie, mieux et plus longtemps qu’on n’osait l’espérer.