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enserrer ses soixante-dix trières; il donne le premier l’exemple de la retraite. Habituées à le suivre, promptes à imiter la manœuvre de leur chef, parce que ce chef ne les tient pas constamment en lisière sous ses signaux, les trières athéniennes se dégagent rapidement de l’étreinte qui les presse. Quarante vaisseaux parviennent à gagner, sous les ordres de Conon, le port de Mytilène; l’aile gauche seule, composée de trente trières, trouve l’accès de ce port fermé. Elle incline immédiatement sa route vers le nord et va s’échouer au point de la côte le plus rapproché. Callicratidas s’empare de ces vaisseaux vides. A l’exemple de Lysandre et à meilleur titre, le jeune navarque pourrait se parer du titre de thalassocrate; il se contente de poursuivre son triomphe. Quarante vaisseaux lui ont échappé, il les aura en même temps que Mytilène. Cette malheureuse cité ne compte plus ses sièges ; reine de Lesbos, elle a reçu le fatal don d’attirer par sa beauté suprême tous les envahisseurs. Thorax, un des lieutenans de Callicratidas, amène de Méthymne, à travers les montagnes, l’infanterie Spartiate et les troupes auxiliaires. Callicratidas lui-même met à terre les hoplites embarqués sur la flotte. Qui disait donc que Sparte avait besoin pour vaincre d’attendre le bon plaisir et l’or du roi des Perses ? Sparte tient sous sa serre les derniers vaisseaux de son ennemie, et Cyrus ne lui a pas fait l’aumône d’un talent. Du moment qu’il apprend que Callicratidas est en voie de se suffire à lui-même, le prince se ravise, il envoie les subsides qu’on a cessé de lui demander. La fierté de Callicratidas a fini par obtenir autant de succès que les basses flatteries de Lysandre ; mais Callicratidas a pris Méthymne et s’apprête à prendre Mytilène. La meilleure de toutes les diplomaties consiste à être fort; cette diplomatie-là procure toujours des alliés.

La situation de Conon laissait à la cause d’Athènes peu d’espoir. Le port de Mytilène n’était pas de facile défense; quarante vaisseaux déployés en ligne n’auraient pas suffi pour en barrer l’entrée beaucoup trop ouverte. Conon, dans les parties où les eaux sont suffisamment basses, fait couler des embarcations remplies de pierres; dans les parties plus profondes de la passe, il assujettit sur des ancres de grands bâtimens de transport. Ces bâtimens ne seront pas seulement un obstacle, leur pont servira de plate-forme aux catapultes. On sait que ces machines, dont l’invention a été faussement attribuée à Denys le Tyran, servaient à lancer, par la brusque détente d’un levier qu’on bandait fortement à l’aide d’un treuil, une pluie de cailloux ou d’énormes fragmens de rocher. En arrière de ces batteries flottantes sont rangées les quarante trières, la proue en avant, l’éperon en arrêt. Le port a changé d’aspect, il