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faudra plus d’un rude combat pour forcer cette entrée rétrécie. La nature a d’ailleurs ménagé aux Athéniens un dernier refuge. Mytilène possède, comme Syracuse, son grand et son petit port; seulement les deux ports de Mytilène se communiquent : la vieille ville est bâtie sur un îlot de peu d’étendue, que sépare de la grande île un étroit canal aujourd’hui comblé. En face de l’îlot, sur la rive lesbienne, s’élève la ville neuve; une enceinte commune embrasse les deux cités traversées par une sorte d’Euripe. A chaque extrémité de ce long boyau s’ouvre un port : à l’extrémité méridionale, le port ou plutôt la rade, que Conon vient de mettre en état de défense; à l’extrémité qui regarde le nord, un bassin mieux fermé, dont il est facile d’interdire l’approche. On n’a pas forcé l’entrée de beaucoup de ports : Duguay-Trouin à Rio-Janeiro, l’amiral Roussin dans le Tage, Ferragut à Mobile, ont montré cependant que de pareilles opérations ne sont point impossibles; mais ni à Rio-Janeiro, ni dans le Tage, ni à l’ouvert de la baie de Mobile, on ne fut obligé de s’arrêter sous le canon. Lorsqu’on trouve le chemin barré par des estacades ou par des lignes de vaisseaux embossés, il faut courir les risques de Nelson attaquant Copenhague, à moins qu’on ne préfère imiter la très légitime circonspection de ces deux grandes nations maritimes qui laissèrent, pendant plus d’une année, leurs vaisseaux immobiles devant les batteries de la Quarantaine et devant le fort Constantin.

Callicratidas n’était pas un marin : pour triompher d’un obstacle, il est quelquefois avantageux d’en mal apprécier la puissance. Callicratidas avait pris Méthymne, il se croyait de force à prendre Mytilène; la vue de toutes les défenses accumulées à la bouche du grand port ne l’intimide pas. Il se place lui-même à la tête de ses vaisseaux, s’ouvre par l’impétuosité de son premier élan un passage à travers la ligne des vaisseaux de charge et se rue sur les proues de la seconde ligne composée tout entière de navires de combat. La mêlée fut terrible, une grêle de pierres tombait du haut des vergues, jaillissait des plates-formes; Callicratidas fait sonner la retraite, ses troupes épuisées ont besoin de reprendre haleine. Quelques instans après, il revient à la charge, lutte durant plusieurs heures et parvient enfin à refouler les Athéniens jusque dans l’arrière-port. L’investissement de Mytilène est désormais assuré ; Callicratidas a établi sa flotte dans le bassin du sud, dans ce bassin d’où Conon s’est vainement efforcé de l’exclure. Je ne veux pas prendre parti contre les Athéniens : ce sont eux qui défendent, à cette heure, la cause de la Grèce; la victoire des Péloponésiens court, au contraire, le risque de tourner au profit de l’Asie. Je n’en éprouve pas moins une secrète sympathie pour cet honnête et vaillant